logo UNTITLED MAGAZINE
Le webzine des plaisirs culturels
Rechercher
Instagram Facebook Twitter

Rentrée littéraire : « Zizi Cabane » de Bérengère Cournut

19 août 2022, par Laurence Lesager

Après le succès fulgurant De pierres et d’os, Bérengère Cournut revient en cette rentrée littéraire avec Zizi Cabane, un texte tendre et onirique sur la famille, les êtres humains, le deuil et l’environnement.

Depuis la disparition d’Odile, la femme de Ferment et la mère de ses trois enfants, Béguin, Chiffon et Zizi Cabane, une étrange source est apparue dans le sous-sol de la maison familiale et menace sa salubrité. Le vent aussi s’y met. C’est comme si les éléments parlaient pour la défunte et lui permettait de veiller, encore un peu, sur sa famille, qui peu à peu perd la raison.

Le fantôme de la maison

Malgré la disparition de sa compagne, la vie suit son cours pour Ferment et les enfants sont bien obligés de continuer à vivre en dépit de cette absence maternelle. Les deux aînés semblent affronter cette épreuve plus facilement que Ferment et Zizi Cabane. Ils s’échappent dans leurs passions : Chiffon avec les livres de géographie, ses cartes et son envie de découvrir le monde via la géologie ; Béguin, avec ses amours de jeunesse et ses rêves d’évasions loin de ce village coincé entre deux collines.

Ferment, quant à lui, s’acharne sur le jardin et l’entretien de la maison, seul vestige à ses yeux de la présence d’Odile : « Je ne comprends toujours pas ce qui se passe dans cette foutue baraque ni ce que nous fichons à présent en bas du jardin. La source continue de s’écouler, j’ai peur que la maison s’écroule un jour - et s’il devait arriver quelque chose aux enfants, je ne me le pardonnerais pas. Nous pourrions partir, bien sûr, mais j’ai cette conviction absurde que si un jour tu devais revenir, tu nous chercherais ici - et je ne veux pas risquer de te manquer. »

Zizi Cabane, elle, suit ses deux aînés dans leurs expéditions et leurs aventures. Elle reste silencieuse et observatrice. Repense souvent à Odile. Et des perceptions étranges lui apparaissent soudainement. Entre le rêve et la réalité, Zizi Cabane commence à se perdre petit à petit dans ses visions qui mêlent paysages glaciers et Odile : « Je sens aussi des choses étranges la nuit. Ce ne sont pas vraiment des rêves, plutôt des perceptions bizarres. Je suis dans mon lit, la lumière éteinte, mais au lieu de basculer dans le sommeil, je revois les endroits où je suis passée durant la journée comme depuis l’arrière d’une cascade. Les scènes sont striées par des filets d’eau, dégoulinantes, et couvertes par un épouvantable fracas. Je sors alors de ma torpeur, mais les images déformées par l’eau persistent et vont parfois jusqu’à former un tourbillon, dans lequel j’ai l’impression de disparaître. »

Une fable familiale et environnementale

La maison familiale est située entre deux collines, dans un village éloigné de la ville, au plus proche de la nature et des caprices des éléments : « Sur une colline proche de Sente-la-Jolie, il a trouvé une maison presque finie, dans un repli de terre. C'est-à-dire, une maison en parpaings accrochée au flanc d'une colline tranquille, et faisant face à une autre colline, encore plus paisible. La vue d'ici était si belle. Et c'est ainsi que mes parents ont acheté quatre murs sur un arpent de terre dans le village de Laguerre. »

C'est dans ce cadre bucolique que sont nés les trois enfants d'Odile et Ferment. Trois enfants pour qui la nature fait partie intégrante de leur vie et qui se montrera révélatrice de vocation pour l'un d'entre eux. La maison était déjà caractérielle à leur arrivée, mais depuis le départ d'Odile, elle s'est révélée, et rythme les journées de ses locataires. Jeanne, la sœur d'Odile et Marcel Tremble – le soi-disant père d'Odile - sont venus s’installer temporairement dans cette maison qui semble possédée afin, tout d'abord, d'apporter un soutient moral à Ferment, mais aussi de l'aider à s'occuper des enfants et gérer la disparition de sa sœur.

La nature s'impose alors comme un véritable personnage, comme un habitant même de ces lieux. Elle n'est plus le cadre d'une habitation. Elle reprend ses droits sur l'urbanisme des hommes. Qu'importent les tentatives de Marcel (alias Pépé) et Ferment pour maintenir la maison sur pieds, la nature n'en fait qu'à sa tête, et petit à petit, le logis familial se détériore et il faudra bientôt partir : « Depuis que Marcel Tremble est là, tout a changé. D'abord Marcel Tremble a dit : "Ferment, vous n'allez pas habiter un cabanon toute votre vie..." (…) Ils ont cherché ensemble le moyen de réinvestir la maison, mais Marcel s'est rendu au même avis que papa : ça n'est pas possible, l'eau est imprévisible. »

Cette manifestation intrusive de la nature dans le domaine familial arrive à point nommé chez une famille en deuil. Mais justement, c'est dans l’adversité qu'il faut se souder les coudes et Zizi Cabane et sa famille l'ont bien compris. Cette source, qui coule dans le jardin et semble vouloir engloutir la maison, renforce les liens entre les membres de la famille. Marcel et Jeanne apportent un support moral et physique à Ferment qui perd la tête par l'acharnement des éléments à vouloir détruire la maison : « Ai-je seulement imaginé un jour que je pourrais être une source en même temps qu'une maison ? Que je pourrais couler depuis le haut d'une colline et rendre fous deux hommes d'un coup sans en concevoir d'embarras ? Ferment me ravage, Marcel me jardine (…) Tu fais des plans pour me canaliser mais plus tu t'acharnes, mieux je te désarme, et plus tu me fais danser. Eau, chaleur et tranchées en sous-sol – tu as disjoncté, Ferment. Tu cherches encore à me féconder alors que nous avons trois enfants (…) Si Béguin, Chiffon et Zizi n'étaient pas là, je ravagerais tout sur mon passage. » Quant aux enfants, bien que soudés, chacun s'enfonce dans son univers, mais un événement inattendu et tragique va les réunir, révélant la véritable force de Zizi Cabane, elle, auparavant de nature si discrète et observatrice.

Bérengère Cournut signe à nouveau un roman magnifique et poétique empreint de mythes. Un conte familial et une balade onirique dans des paysages pittoresques puis boréals en compagnie de personnages attachants, tendres et aux caractères bien trempés.

"Zizi Cabane", Bérengère Cournut, éditions Le Tripode, 240 pages, 20 euros.  




auteur
Rédactrice chez Untitled depuis 2021, Laurence est libraire passionnée de littérature et de tout ce qui touche au monde de l'art et de la culture


Retour

Articles similaires

"Une Valse pour les Grotesques", un livre de Guillaume Chamanadjian
Rentrée littéraire : "Le désastre de la maison des notables" de Amira Ghenim
Rentrée littéraire : "Bien-Être" de Nathan Hill
Rentrée littéraire : "Houris" de Kamel Daoud
Rentrée littéraire : "Pages volées" d'Alexandra Koszelyk
Rentrée littéraire : "Aux ventres des femmes" d'Huriya
Rentrée littéraire : "Au soir d'Alexandrie" de Alaa El Aswany
Rentrée littéraire : "Tout brûler" de Lucile de Pesloüan
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Site réalisé par
Ciel Bleu Ciel