Léa, fille de Florence et petite-fille de Suzanne s’interroge et n’en peut plus des tabous familiaux : dans ce deuxième roman de Nina Almberg, trois générations (se) parlent enfin, pour remettre les femmes et leur parole au centre et pour guérir.
Quand Léa demande à sa mère si elle pense être la fille de son père et qu’elle reçoit comme réponse qu’elle a toujours été persuadée du contraire, la jeune femme décide de creuser, incapable de comprendre comment ce secret a pu rester enfoui toutes ces années. Première femme à prendre la parole dans ce livre en triptyque qui proposera tour à tour les voix de Léa, de Florence et de Suzanne, la petite-fille remue le passé.
La mémoire générationnelle
“Mon corps est en tension. Tout à coup, je me dis qu’il connaît des secrets parce qu’ils ont été imprimés en lui. Je sens qu’il est marqué depuis longtemps.” Ce que découvre Léa dépasse ce à quoi elle s’attendait : sa mère a subi des violences sexuelles au cours de son enfance. Et pas de la part de n’importe qui : c’est son père biologique, artiste peintre proche de sa famille, qui l’a agressée alors qu’elle n’était qu’une enfant.
Ce secret toxique est enfin dévoilé après cinquante ans, et ce dans le premier tiers du livre. Ce ne sont pour Nina Almberg pas tant la recherche de la vérité ou le fait en lui-même qui seraient au centre mais bien la parole des différentes femmes concernées par cette histoire et par ce silence. Ce sont Léa, mais surtout Florence et Suzanne qui comptent, dans toute leur complexité et dans le poids de ce secret gardé. Celui de la violence, mais aussi celui de la paternité cachée.
“On a beau savoir quelque chose, quand c’est informulé, intériorisé, inaudible, gommé, raturé, biffé, l’évidence même disparaît.” L’autrice, d’une plume douce et qui prend le temps, nous plonge dans l’histoire d’une famille où le silence a régné pendant bien trop longtemps, et mélange les temporalités et les lieux - successivement sur la Côte d’Azur ou à Paris, à l’époque actuelle ou plongée dans des souvenirs d’enfance.
Expressions
Nina Almberg a donné à ces trois femmes des métiers et activités qui leur permettent une certaine forme d’expression bien personnelle : Léa est archéologue, habituée aux enquêtes ; Florence est musicienne, seule échappatoire pour celle qui a été bâillonnée toute sa vie ; Suzanne chine sans cesse des objets rares. Quand parler et dire les mots est impossible, les personnages de l’autrice trouvent d’autres moyens de s’exprimer.
“Longtemps, je n’ai pas compris d’où venait ce sentiment de honte qui m’étreignait lorsque par éclairs ou par vagues, des éléments de cette histoire me revenaient. Honte qu’une histoire aussi sordide me concerne, concerne ma famille. Honte de l’avoir fait ressurgir, d’avoir dérangé le cours de l’histoire. Honte, aussi, que mon corps soit épargné.
Mais l’est-il vraiment ? Rien n’est moins sûr. Plus le temps passe et plus je sens les violences sexuelles couler sur nous, insidieusement, de génération en génération.”
Pour Suzanne est le récit d’une petite-fille qui tente de guérir sa famille, réfugiée dans un secret qu’on pensait meilleur enfoui mais qui a laissé des marques sur toutes les générations. L’autrice, en nous plongeant tour à tour dans les pensées de ces trois femmes, nous montre l’aspect systémique et insidieux des violences sexuelles mais aussi la force de l’amour familial à travers les violences et les révélations.
Nina Almberg livre un deuxième roman fort, qui redonne la parole aux femmes et qui met les hommes à la périphérie de l’action.
"Pour Suzanne", Nina Almberg, Editions Hors d'Atteinte, 212 pages, 19€