logo UNTITLED MAGAZINE
Le webzine des plaisirs culturels
Rechercher
Instagram Facebook Twitter

" Nos corps lumineux" de Aliona Gloukhova

5 juin 2023, par Mathilde Jarrossay

Dans son troisième roman, Aliona Gloukhova nous parle de rupture, de désamour, de relation familiale et de souvenirs. Toujours avec cette écriture épurée et enlevée, on se laisse porter par la poésie des sentiments de l'auteure. 

En 2019, le mari de l'auteure lui annonce qu'il ne l'aime plus par message. S'en suit l'errance, le travail de mémoire et de mémorisation d'Aliona Gloukhova. Elle met en ordre ses souvenirs comme ses affaires qu'elle déplace, ses amitiés et ses états d'âmes qu'elle enregistre en note dans son téléphone. 

Ce roman est une analyse de l'inertie des sentiments, des traces laissées par les relations, mais c'est aussi un voyage dans la mémoire, celle du corps et celle des lieux.

Le désamour. 

"Un phénomène particulier se produit dans un coeur désaimé : les cellules du muscle cardiaque se figent, la contractilité du ventricule gauche ne fonctionne plus. La base du coeur continue pourtant à pomper, féroce, pendant que sa pointe reste immobile, gonfle. Un coeur désaimé est une force interdite, une naine brune, une étoile qui n'a pas eu lieu. Si on ne donne pas assez de place aux coeurs forts, ils risquent de partir en l'air, de nous faire exploser." 

Aliona Gloukhova raconte la rupture, le sentiment de suspension qui s'ensuit, que faire quand on ne nous aime plus ? Dans une langue épurée, faites de phrase courte, la narratrice tente de comprendre ce que le sentiment amoureux perdu produit dans le corps. Elle met en mot la mémoire cellulaire, elle décrit avec précision les changements parfois d'humeur ou les changements physique, se perdre sur un trottoir, une chute à vélo et l'errance physique dans la ville. 

Elle met en mouvement et en corps une rupture, comment on déplace ses affaires et comment on déplace son amour. Le désamour lorsqu'il est subi est violent mais pour la narratrice cela intégre aussi une nostalgie, qu'elle tente de placer dans son espace-temps, lieu et moment étant lié. 

Un roman sur la rupture qui pourtant n'est pas triste, c'est autant un roman d'amour. Aliona Gloukhova nous invite à flotter entre les mots, les états et les souvenirs. Sensible et poétique. 

La mémoire et les lieux

"A la fin de sa vie, ma grand-mère, qui avait traversé toute la Russie a réduit ses itinéraires, ses déplacements."

Comme toujours dans les romans de Aliona Gloukhova, les lieux sont au coeur du récit. Ici, elle intégre la question de la mémoire des lieux, ce qu'ils retiennent de nos relations, ce qu'ils gardent de nos nous. La question du mouvement est omniprésente, elle tisse un lien entre les déplacements, le mouvement et la mémoire. La mémoire, c'est celle de l'exil, la grand voyage entrepris par sa grand-mère d'un bout de la Russie à l'autre, de son propre exil vers la France, de son travail qui l'emméne de Paris à Poitiers puis à Pau. Ce roman est aussi celui des exilées. 

"C'est où le Bélarus, c'est en Russie ? me demande-t-on souvent. (...) J'écris le nom d'autres pays autour : la Lituanie et la Lettonie au nord-ouest, l'Ukraine au sud, la Pologne à l'ouest, la Russie à l'est. Je ne dessine pas très bien mais c'est suffisant pour la rendre concret."

Elle introduit la notion du Fernweh qui est un terme allemand, qui exprime la nostalgie du lointain, la nostalgie des lieux, c'est ce qu'on pourrait traduire comme le mal du pays. Mais un pays qu'on ne connait plus voir pas. Pour l'auteure, c'est l'appartement conjoint, c'est Minsk ou encore la ville de naissance de sa grand-mère. C'est cette nostalgie qui garde le mouvement constant dans lequel se trouve l'auteure, Aliona Gloukhova se décrit comme toujours en mouvenment, vers ces lieux de mémoire. 

Ce roman autour de la rupture est aussi celui de la renaissance, c'est la rencontre de soi-même, celle des autres, c'est aussi le lieu de la thérapie par la parole et par les lieux. Tout fait mémoire. Aliona Gloukhova semble flotter dans ses sentiments, comme un corps céleste, qui s'envolerait comme celui de Lucien vers les astres, ces corps lumineux qui cherche ailleurs ce qui pourrait guérir les mots terrestres. 

Aliona Gloukhova livre ici un roman doux-amer sur la rupture, sur l'exil des sentiments et sur la mémoire du corps et des lieux dans une langue toujours sensible mais acérée. 

Capture d’écran 2023-06-05 à 19.48.07.jpeg

"Nos corps lumineux", Aliona Gloukhova, Editions Verticales, 184 pages, 18,50 €

Découvrez d'autres livres de l'autrice :

G03746-410x600.jpeg



auteur
Passionnée de littérature depuis toujours, après des études d’édition, c’est finalement le spectacle vivant qui emporte Mathilde mais elle a toujours une bibliothèque conséquente. Elle écrit sur Untitled depuis 2017 dans la rubrique livre, autant de littérature contemporaine, française et étrangère mais aussi des sélections de livres jeunesse.


Retour

Articles similaires

« Le grand livre des agrumes » un livre d’Anne Etorre
"N'oublie rien" un livre de Jean-Pierre Martin
“Bientôt les vivants”, un livre de Amina Damerdji
"Basses terres", un livre d'Estelle-Sarah Bulle
"La vie précieuse", un livre de Yrsa Daley-Ward
"Les Derniers Américains", un livre de Brandon Taylor
“Ravage”, un livre de Ian Manook
"En vérité, Alice", un livre de Tiffany Tavernier
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Site réalisé par
Ciel Bleu Ciel