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« Mise en forme », un livre de Mikella Nicol

1 juillet 2024, par Laurence Lesager

Entre le récit et la fiction, Mikella Nicol signe avec Mise en forme une analyse détaillée de l'aliénation féminine avec pour toile de fond son histoire personnelle et ses réflexions.

A la suite de sa rupture, Mikella se retrouve seule entre les quatre murs de sa chambre où elle s'entraîne avec discipline pour se réapproprier son histoire et se relever. Au fil des entraînements, elle se retrouve peu à peu confrontée aux discordances de l'industrie du fitness et à son propre rapport au corps et à soi. C'est une invitation à se pencher davantage sur l'importance du corps chez la femme et son rôle : celui que la société nous impose et comment il transforme notre vision de nous-même.

Un gym à soi

« Deux choses restent à moi : la chambre et le corps. C'est dans l'une que je sculpte l'autre. Je le prépare dans ce lieu intime pour le livrer au monde une fois prêt. Une forme de structure m'encadre ici en tant que femme seule, qui ne peut plus se définir, qui erre. Je sais intuitivement que la mal-aimée, l'abandonnée, doit reprendre le contrôle de son apparence, puisque c'est sûrement dans son laisser-aller que s'est joué le désamour. »

L'auteure souligne un point intéressant ici et, malheureusement, bien trop souvent présent dans nos sociétés : la corrélation entre le corps et la beauté. C'est ce qu'elle mentionne par la suite avec le revenge body, l'art de s'affermir et de mincir pour faire regretter son ex. Dans sa chambre, l'écrivaine se sculpte et rythme ses journées à coup de vidéos fitness. La régularité et le fait de ne pas avoir à trop réfléchir et penser l'aide dans un premier temps, mais le soulagement n'est que de courte durée. Petit à petit, ce gym à soi si libérateur et réconfortant se transforme en une sorte de prison où elle s'enferme en quête du corps idéal.

De cette mise en forme sans fin qui lui impose des sacrifices et privations sous prétexte de rigueur du sportif et de discours, s'inspirant du développement personnel, contradictoires, Mikella s'efface et s'oublie. Disparaître pour réapparaître, perdre du poids pour être vue, complimentée et regardée, pour entrer dans le moule de la société et ses standards néfastes de beauté.

« Quand on parle de minceur féminine comme d'un effacement de soi dans l'espace, on oublie qu'elle est d'abord une parure. Dans notre société, la minceur est aussi un moyen d'apparaître : un tour de magie qui imprime notre image dans les yeux des autres. Le point de disparition devient celui de l'apparition. Dans cette optique, le fitness se transforme en un vecteur de pouvoir, ou plus précisément d'empowerment, de prise de pouvoir. »

Autopsie du fitness

« Pour le fitness, une pudeur me retient. Une honte se superpose à celle de l'échec originel du corps parfait. J'ai honte de mon aliénation quand je m'abreuve de discours que je me suis appliquée à démentir de l'autre côté de la bouche. Je balance entre la gêne de « prendre soin de moi » et ma peur de subir des conséquences si je ne le fais pas. »

Mikella Nicol met en lumière ici la dualité interne à plusieurs niveaux. D'une part, une dualité entre ce qu'elle aimerait faire pour elle et d'autre part, les conséquences et le regard de l'autre, la société, si elle ne le fait pas. Les conséquences étant ici la prise de poids et le jugement intransigeant sur son corps. D'autre part, comme elle le mentionne à plusieurs reprises dans son œuvre, le fitness est souvent apparenté au bien-être, au développement et à la croissance personnelle. Pourtant, dans la pratique, des contradictions apparaissent.

« En considérant la mise en forme des femmes comme le prolongement d'une pathologie, nous perdons de vue les bienfaits qu'elle nous apporte, qui n'appartiennent qu'à nous et que personne ne peut nous enlever. […] Il faut savoir (et pouvoir) mettre à distance la désinformation qui accompagne notre pratique. Nous n'accédons à ce recul qu'en développant des mécanismes de défense et une certaine littératie. Malheureusement, […] notre éducation ne nous a pas appris à nous protéger des autres et des discours sur la beauté – ce que nous n'aurons pourtant pas le choix de faire. »

L'écrivaine retrace au fil de son histoire intime et de ses états d'âme, les discordances du discours de l'industrie du fitness à l'ère du numérique. Comment la pratique du fitness a été attachée, sur les réseaux, au bien-être et son impact sur l'audience et les femmes ? Comment les troubles liés à l'aliénation féminine resurgissent et comment s'en protéger ?

Elle répond à ces questions en convoquant à son récit les textes de Mona Chollet, Nelly Arcan, Michel Foucault ou encore Françoise d'Eaubonne. Mise en forme est un texte hybride, difficile à classer mais qu'on apprécie fortement par la puissance de son récit et la portée féministe et actuelle de son analyse du fitness.

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"Mise en forme", Mikella Nicol, Le Nouvel Attila, 176 pages, 17,50€.




auteur
Rédactrice chez Untitled depuis 2021, Laurence est libraire passionnée de littérature et de tout ce qui touche au monde de l'art et de la culture


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