Dans la série des Manifestes édités par les éditions de l’épure, passons à celui sur cet objet non conventionnel qu’est le vin naturel. Manifeste pour le vin naturel à trouver en librairie sur le chemin des cavistes.
Antonin Iommi-Amunategui, infatigable journaliste, éditeur, organisateur « d’événements qui s’avalent » (cf. la maison Nourriturfu dont je vous ai parlé précédemment) nous livrait en 2015 un concis et vivant témoignage de la présence d’une autre viticulture. Cinq ans plus tard, ses flacons troublants et animés se retrouvent de plus en plus nombreux sur les tables privées et publiques. Et bien que de nombreux acteur.ice.s du milieu se rejoignent dans un Syndicat de défense des vins naturels, cette méthode n’a pas encore d’existence officielle. Mais alors, ce liquide produit est-il si étranger à ce que nous entendons et encadrons officiellement comme « vin » ?
Pas question de revenir à la généalogie du vin dit naturel dans ces quelques pages. D’autres l’ont très bien fait, enquêtant jusqu’en Géorgie, berceau mondial du vin - et oh surprise il était fait sans adjuvants chimiques (cf Skin contact d’Alice Feiring). Ici on est au présent, le ton est vif, les références militantes, il s’agit bien là d’un manifeste, d’une déclaration, d’un certificat de vie. Car le vin naturel existe, la preuve en est avec ces étiquettes chamarrées qui fleurissent dans les vitrines des cavistes indépendant.e.s et des bars/restaurants curieux. C’est peut-être là le problème, cette manifestation de liberté : sortir des A.O.C./A.O.P., s’éloigner du style conventionnel, stopper l’usage de produits phytosanitaires, laisser les raisins parler, affirmer une individualité tout en nourrissant le compagnonnage avec celles et ceux qui se sont engagé.e.s sur la même voie.
Mais que signifie cette voie, cette prise de liberté pour celles et ceux qui ne l’empruntent pas ? Leurs vins seraient anti-naturels, artificiels ? Se pose alors la question de la politique de ces vigneron.ne.s naturel.le.s. Veulent-ils.elles affirmer qu’une autre viti-viniculture est possible, plus respectueuse de l’humain et de la terre, tout en cohabitant pacifiquement avec les productions chimiquement assistées ? Ou bien cherchent-ils.elles à exclure voire à interdire tout usage dangereux et mortifère de la terre ? On en revient à la problématique élémentaire qui est le sujet même du manifeste, le vin naturel doit-il être encadré pour son partage tout autant que sa survie ? Puisque pour répondre à une question pareille il serait insensé qu’Antonin Iommi-Amunategui se transforme en Robert Parker français (gourou œnophile américain) et définisse à lui seul les préceptes du vin naturel, il est allé à la recherche de « propositions concrètes, en vue de la naissance officielle du vin naturel » auprès d’un échantillon de producteurs et de buveur.se.s de ce « vin idéal ».
Forcément cet assemblage de pensées hétérogènes ne produit pas le discours uniforme qu’il serait aisé de faire rentrer dans les cases d’un formulaire, mais affirme une base commune et une visée collective. De un, les raisins utilisés pour la fabrication de ce vin naturel doivent être au minimum bio, voire cultivés en biodynamie. De deux, il convient de se passer à 99% du «gri-gri œnologique» (75 pratiques et traitements autorisés), souffre et cuivre pouvant être tolérés. Après ça, libre à chacun.e d’exprimer ce qu’il.elle veut à travers ses fruits et son terroir. Tout cela dans la volonté affirmée de se libérer de l’industrie dominante, et de donner à boire et à voir une « contre-agriculture » respectueuse de la terre et de ses vivants. Se lit alors dans ces pages un projet politique global qui réintroduit la viticulture dans le cadre d’une polyculture des êtres - humains, animaux, végétaux, minéraux.
En une vingtaine de pages qui se dégustent le temps que le vin s'aère, ce Manifeste pour le vin naturel tisse un lien entre nature et culture, rappelant que la lutte pour une transparence non filtrée à la fois dans nos assiettes et dans notre société peut se transmettre et s’activer dans de nombreux actes autant manuels qu’intellectuels, toujours plus savoureux les uns que les autres.