Déjà autrice de deux ouvrages aux éditions Nouriturfu (Faiminisme - Quand le sexisme passe à table (2017) et Steakisme - En finir avec le mythe de la végé et du viandard (2021)), Nora Bouazzouni revient avec un nouvel ouvrage qui pourrait donner des idées à celles et ceux qui ne savent pas quoi mettre au menu pour les fêtes : Mangez les riches - La lutte des classes passe par l’assiette. En librairie.
Dans un pays membre des Nations unies qui s’engagent à assurer « une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne » comment se fait-il que certaines personnes ne puissent toujours pas manger à leur faim ? Ce constat implacable, qui se pose autant en France, qu’aux États-Unis, est devenu tellement commun et banal qu’il semble être consubstantiel des « sociétés d’abondances ». Ce serait ainsi faute à pas de chance et surtout à personne si un tiers des aliments, chaque année, sont jetés ou perdus. Sauf que, hasard des calendriers - à moins qu’une certaine convergence des luttes ne soit à l’oeuvre - deux livres viennent de sortir* - en plus de documentaires** - qui ne se privent pas de secouer le système capitalo-industriel. Dans son sémillant et alerte ouvrage, Nora Bouazzouni n’hésite pas à remplir son panier des - trop - nombreux fruits mortifères de ce système. Rapide passage en revue.
Spéculations nourricières
Socle de l’Union Européenne, la PAC (pour Politique agricole commune) est ainsi une des premières responsables de l’embardée agro-industrielle. En conditionnant ses aides sur la superficie des cultures et non sur leurs qualités socio-économiques, elle favorise la quantité plutôt que la qualité (éthique, nutritionnelle, environnementale). L’OMC (pour Organisation mondiale pour le commerce) permet, quant à elle, de débouter les pays en voie de développement de leur souveraineté (alimentaire) au profit de multinationales venues se créer des bas de laines et spéculer sur le coût des matières premières. Le COV (pour certificat d’obtention végétale) se contente lui simplement de privatiser les semences, obligeant les agriculteur.rice.s à racheter chaque année de nouvelles graines s’iels veulent pouvoir vendre les fruits de leur culture - la diversité génétique des plantes cultivées auraient ainsi diminuée de 75%. Quand, de son côté, l’aide alimentaire vient encourager la surproduction avec nos impôts. Suffirait alors que le livre s’arrête là pour que nous conservions un tant soit peu la bouche propre - même si nous sommes ce que nous mangeons et que ce système agro-industriel ne tient pas seulement grâce aux gouvernements successifs. Mais ce serait faire fi des pages suivantes qui rappellent que la société civile n’est pas exempte de comportements problématiques aux conséquences tout aussi ostracisantes.
« Occupe-toi de ton assiette ! »
C’est ainsi que chaque rentrée scolaire, il semblerait que le jugement classiste devienne sport national. C’est à celui ou celle qui aura les meilleurs recommandations sur les dépenses que devraient faire les personnes éligibles à l’allocation rentrée. Eh bien c’est peu ou prou la même chose qui se passe tout au long de l’année, quant à savoir ce que les plus précaires d’entre nous mangent - rappeler l’histoire de la promotion nutella et les conversations médiatiques ou non qui s’en sont suivies devrait suffire. Ainsi se rejoue jusque dans les assiettes cette distinction si justement épinglée par Bourdieu. Dans une dynamique néo-libérale bien intégrée, ce n’est plus l’État qui se défausse sur les associations, les politiques municipales qui jouent le jeu des distributeurs, les nutritionnistes qui décrètent qu’il existe deux types d’estomacs suivant la classe sociale ou les médias qui s’improvisent démiurges de la silhouette parfaite, mais bel et bien le.la pauvre qui ne sait pas bien se nourrir.
Comment sort-on de ce gloubi-boulga écocidaire et déshumanisant qu’à peine 150 pages auront suffit à rappeler ? Ç’aurait été là un bien indigeste cadeau aux cyniques notes d’humour que nous aurait fait Nora Bouazzouni mais ce serait encore une fois se déresponsabiliser et ne pas voir que des initiatives sont déjà à l’oeuvre - AMAP, semences paysannes, cantines à prix libre, sécurité sociale alimentaire en phase de test, etc - et qu’elles ne demandent que plus et plus de mangeur.se.s engagé.e.s dans une véritable justice sociale. Assurément, un livre à mettre à toutes les sauces et à toute les tables.
*l’autre livre étant La France qui a faim (2023) de Bénédicte Bonzi
** Le début de la faim (2023, France TV) actuellement en streaming