Ce court romain de Vincent Fortier croise les destins, celui de son oncle Maurice et le sien. Plongée dans la communauté homosexuelle au Québec dans les années 70, sous le prisme de la vie de Philippe, contemporain du lecteur, Les racines secondaires est un roman sensible sur la transmission.
Romain, le père de Philippe, est atteint d'Alzeihmer. Un jour, il fait une confusion et le nomme Maurice, comme son frère, lui aussi homosexuel. Derrière ce prénom, derrière ce frère, se cache un secret de famille. Celui d'un frère qu'on a effacé de l'histoire. Alors Philippe, le narrateur, se met en quête de retrouver les traces de Maurice, remonter le fil de cet oncle qui lui ressemble tant.
Un secret de famille
Dans les années 70, Maurice quitte son foyer familial au nord du Québec pour Montréal. Là-bas, il se lie avec la communauté queer de la ville : ce sont les premières sorties dans les bars gays de la ville, la rencontre avec des hommes et aussi les liens qu'il va lier avec ceux qui deviendront sa nouvelle famille, Pierre et Diane. Loin de cette famille qui sans le rejeter frontalement fait comme s'il n'existait pas et n'avait jamais existé, Maurice se reconstruit.
"Je ne sais pas ce que je serais devenu si Pierre n'était pas arrivé dans ma vie. Il m'a pris sous son aile, il m'a compris. Je ne pouvais qu'imaginer comment ça avait été pour lui quand il est arrivé à Montréal à la fin des années cinquante."
Philippe part sur les traces de Maurice, il découvre à travers le voyage la sensibilité de cette personne qui lui ressemble tant mais qu'il ne connaît pas. De Montréal à l'Alsaka, comme pour se comprendre lui, Phillipe écrit à son oncle des cartes postales des lieux emblématiques où celui-ci a vécu. Comme un hommage, ce grand road trip permet au narrateur de renouer avec sa famille, de rendre hommage à cet oncle mais aussi d'alléger malgré lui la peine de son père.
"Fallait-il creuser davantage, aller à la rencontre de Maurice ? As-tu déjà tenté d'en savoir plus, papa, ou alors était-ce une affaire classée ? J'entends Roseline demander "Aurions-nous dû faire plus ?" C'est le genre de questions qu'on pose normalement pour être rassuré, car on y répond toujours de la même façon : "Mais non, voyons, nous avons fait ce que nous avons pu." Moi-même je le dis, même Maurice le dit. La question ne sert jamais à aller au fond des choses, à assumer ses responsabilités. Car évidemment que vous auriez dû faire plus. Votre façon d'effacer Maurice n'était peut-être pas aussi violente que la répression policière, mais elle était aussi brutale."
L'histoire d'une communauté
Au-delà de cette histoire de famille, c'est aussi une histoire de la commaunté gay dans les années 70 à Montréal. A travers les écrits et les souvenirs de Maurice, c'est un portrait des violences policières que décrit le narrateur et des répressions envers la communauté homosexuelle. Maurice y décrit les descentes de police dans les nombreux bars de la ville, comme celle du Truxx qui a donné lieu à des grandes contestations dans la ville, de nombreuses manifestations pour faire reconnaître leurs droits et pour protester contre les violences dont ils sont la cible.
"L'année 1977 s'est calquée sur 1976 : nos amis des postes du centre-ville nous rendaient visite encore et encore. Des raids un peu partout, dont certains le même soir, dans les bars, discothèques et saunas de Montréal. Des clients tabassés. Des incendies allumés par des pyromanes qui savaient bien à qui ils s'attaquaient."
Dans les parties du livre où Maurice est le narrateur, il analyse la situation pour la communauté à Montréal, il fait un état presque exhaustif des violences perpétrées à l'encontre des gays de la ville : autant en terme de violence policière que des annonces du gouvernement. A travers ces témoignages de Maurice, c'est un devoir de mémoire qui s'écrit, pour ne pas oublier que la communauté homosexuelle a été la cible des violences pendant trop longtemps sans aucune raison.
Un roman sur les liens familiaux mais aussi un roman qui rend hommage à la communauté gay de Montréal.
"Les racines secondaires", Vincent Fortier, Editions Philippe Rey, 176 pages, 18€