Après de nombreux titres reconnus au Canada comme en France, Annie Perreault signe avec Les Grands Espaces un roman poétique où les voix s’entremêlent pour ne former qu’un autour de la thématique du Grand Froid, de l’amour et de l’accomplissement de soi.
Anna, Eleonore, Gaby et “Celle qu’on ne voit pas” viennent des quatre points cardinaux, Nord, Ouest, Est et Sud. Ensemble, leurs voix s’entrelacent et forment un récit puissant et d’une beauté saisissante sur les grands espaces, le froid sibérien et le froid intérieur, ces ruptures et douleurs qui nous glacent.
L’amour interdit pour la nation ennemie
Anna est fascinée par le lac Baïkal, c’est son refuge, un lieu où elle se sent apaisée : “Je vais traverser ce lac”. C’est ce qu’elle dit à l’Ours, un homme qui l’a recueillie au beau milieu de cette Russie austère et froide. Lui ne cherche pas vraiment à comprendre. Il est dépassé par la situation. Tous deux restent à se contempler, en silence, autour d’une tasse fumante, chacun voguant à ses songes. Bientôt, Anna prendra le train pour aller sur ce fameux lac. Elle y rencontrera Gaby, une jeune artiste en quête des grands froids humains, des grands froids de la vie des gens. Une amitié presque fusionnelle va se nouer, et surtout, marquer Anna.
Eleonore, quant à elle, est une californienne amoureuse de la nature, de la mer, une passionnée de surf et surtout une femme éprise de Youri Gagarine, un célèbre astronaute russe. Dès le moment où elle l’a vu à la télé, son cœur s’est emballé et sa passion pour cet homme inaccessible n’a fait que grandir au fil des années. Un amour à sens unique fort qui va inquiéter ses proches et les pousser à mettre Eleonore en hôpital psychiatrique où la lobotomie l’attend : “Me voilà sur une chaise dure et froide, Youri. Je voudrais te parler, te dire tout ce que j’ai voulu pour nous deux. Je comprends aujourd’hui que rien ne se passera comme je l’avais planifié. (...) J’ai peur que cette intervention me fasse perdre ce que je chéris le plus, cette imagination qui me tient chaud, qui efface ce qu’il y a de plus terne pour me propulser là où tous les rêves sont possibles.”
La Russie et les Grands Froids
Gaby traverse la Russie en Transsibérien dans le but de réaliser son projet artistique : des photos de portraits accompagnés de textes, de témoignages, de personnes qui lui racontent le plus grand froid de leur vie : “Je récolte des témoignages, en parallèle. Je demande aux gens que je photographie de me faire une confidence de froid. D’ailleurs tu pourrais participer, si tu veux… Rien de compliqué : tu me racontes le plus grand froid, la plus atroce froideur que tu as vécue. Ca peut être un froid météorologique, esthétique, humain, psychique, relationnel, tous les froids m’intéressent. Tu peux prendre le temps d’y penser, mais souvent ça vient spontanément, sans trop réfléchir.”
De l’autre côté, au sud, “Celle qu’on ne voit pas”, l’autrice elle-même, nous raconte à son tour sa passion pour le Grand Est, pour ce froid méprisé, son intérêt pour la Russie et son grand amour avec un Russe à Montréal. Elle se lance pour défi d’aller courir sur le lac Baïkal. Lac aussi beau que meurtrier où elle réserve un sort funeste à ses personnages : “Je dépose les os frêles d’une femme fictive dans les profondeurs glacées et je me répète : “Je vais traverser ce lac.” “
Les Grands Espaces est un roman polyphonique intense où l’autrice joue avec les styles. Tantôt dans la fiction, tantôt dans le témoignage et récit de vie, cette ode à la nature et aux grands espaces révèle au grand jour les failles et les mystères du genre humain et sa petitesse face au monde. Un appel à la liberté et à la quête de soi.
“Les Grands Espaces”, Annie Perreault, éditions Héloïse d’Ormesson, 256 pages, 20 euros.