Véritable ode aux femmes emmurées, Pauline Hillier, incarcérée en 2013 dans la célèbre prison des femmes La Manouba, nous livre un récit poignant sur la condition de ces Tunisiennes enfermées qui luttent pour garder intacte leur dignité bafouée.
“Bolona c’est mon histoire. L’histoire d’une jeune féministe française à la poursuite de ses rêves de justice et d’égalité pour toutes, partout, tout le temps. Cette année-là j’ai poussé mes idéaux à leur paroxysme. Estimant qu’aucune frontière ni aucune loi ne devaient empêcher la solidarité entre les femmes, j’ai bravé les interdits pour en faire moi-même la manifestation. Emue par le sort d’une Tunisienne emprisonnée pour avoir défendu la liberté des femmes, j’ai été à mon tour enfermée pour avoir défendu la sienne”.
2013, Tunis. Arrêtée à la suite d’une manifestation, Pauline, une jeune Française, est conduite à La Manouba, célèbre prison pour femmes de la capitale. Entre ces murs, c’est un nouveau monde et de nouvelles règles dans une langue qu'elle parle à peine, qui se présentent à elle.
Pavillon D, solidarité & sororité
Catapultée dans une cellule composée de vingt-huit détenues, la narratrice se retrouve isolée du monde, dans un espace clos, surpeuplé et insalubre. Ici, Pauline Hillier n’épargne rien des conditions atroces de détention, la saleté, les cafards, la chaleur, les odeurs pestilentielles, la promiscuité, le manque d’intimité, la brutalité des gardiennes, etc. Et dans la prison, elle va devoir se débrouiller seule. Ses anciens vêtements, jean et débardeur sont interdits, la nourriture est mauvaise, et rien n’est fourni, même pas une cuillère ou une assiette. Il faut tout demander à la famille, quand on en a une à proximité. “Je suis un nouveau-né dans un nouveau monde dont les codes, les rites et la langue m’échappent totalement. Je vais pourtant devoir grandir vite pour m’en sortir dans cet univers hostile et inconnu”.
Mais malgré les conditions de vie, c’est une réelle solidarité qui règne dans ce pavillon. Un peu moins violent que les autres, il regroupe des femmes de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines qui se serrent les coudes pour trouver un semblant d’humanité. Et alors qu’elle sait lire entre les lignes de la main, “La voyante” comme on la prénomme au début, entre en contact avec quelques-unes de ces femmes. D’un simple geste, d’un simple mot, cela suffit à libérer la parole et la confiance de certaines. Celles avec qui elle partage son quotidien lui offrent alors enfin un mot, un sourire, un geste, et lui apprennent à rester digne quoi qu’il arrive.
Femmage aux opprimées
Hafida, Warza, Fazia, la Cabrane, Fuite, Boutheina… Parmi ces femmes, on compte des meurtrières, des voleuses, des infanticides, mais aussi des femmes qui ont tué alors qu’elles étaient en état de légitime défense, des femmes qui ont commis un adultère et que le mari a fait condamner sans preuves, des prostituées, des femmes à la mauvaise réputation… En marge de sa propre histoire et de son incarcération, c’est un nouveau récit que débute Pauline Hillier. Celui de ces voleuses, ces tueuses, ces victimes d’erreurs judiciaires, qui au fil des jours passés ensemble, lui racontent leur vérité. “Une fausse accusation suffit à les envoyer aux oubliettes pour cinq longues années et à les discréditer pour une vie entière. Abandonnée par les siens, Samira doit sa survie matérielle à ses camarades de pavillon D.”
Au fil des pages, chacune raconte un peu de son histoire. Quel que soit le personnage, leurs idées, leur sortie de route, jamais Pauline Hillier ne les juge. Elle les écoute, recueille leurs témoignages et donne voix à leurs histoires. A travers ces témoignages, l’auteure rend hommage à ces femmes mises au ban de la société car refusant de supporter la condition dans laquelle elles étaient enfermées. “Le jour elle porte le voile et se rend aux cours coranique de la prison, la nuit elle redevient l’adolescente légère qu’elle était. Chafia raconte sans bruit toute l’histoire de la jeunesse brimée de la Tunisie, de ces milliers d’adolescentes qui brûlent de découvrir, d’explorer, d’expérimenter, de goûter, de vivre et de sortir du cadre (trop étroit) qu’on a tracé pour elle. Un pied en dehors du chemin et la sentence est immédiate. Ici, on ne laisse pas les brebis s’éloigner du troupeau.”
Dans pays où les femmes vivent encore trop souvent oubliées ou muselées, Pauline Hillier signe un roman poignant plein de tendresse et d’humour dans lequel il est question de transmission, de solidarité et de condition féminine.
"Les contemplées", Pauline Hillier, Editions La Manufacture des Livres, 204 pages, 18,90 €