Et si l’on posait momentanément fourchette et couteau pour partir à la recherche d’une agriculture libérée des pesticides ? C’est ce que nous propose un « jeune agronome brillant », Cédric Rabany dans Les Agronautes. A trouver dans toutes les librairies qui ont les pieds sur terre.
Lorsqu’elle ne nous fait pas déguster du vin naturel dans ses salons, Nouriturfu « la maison d’édition et d’événement qui s’avalent », offre de belles occasions d’explorer les entrailles de la terre et de remonter ainsi le cours du papier imprimé que nous avons entre les mains. Après avoir pu suivre les pas de l’avocat Eric Morain dans les tribunaux français (Plaidoyer pour le vin naturel, 2019), nous voilà invités à mettre le nez dans l’humus.
« Faire face à la réalité de vivre » (Masanobu Fukuoka, La révolution d’un seul brin de paille - Une introduction à l’agriculture sauvage)
Le bio, Demeter, et autres labels, le vin « naturel » ou « nu », le locavore, la biodiversité, les saisons etc. derrière cet enchevêtrement de lettres, d’idées, de goûts, de sensations, quoi que l’on fasse nous nous retrouvons face contre terre. Comment la Côte d’Ivoire est-elle devenue le premier pays producteur mondial de cacao permettant aux occidentaux de se repaître de chocolat à longueur d’année ? Pourquoi la culture agricole de framboisiers est-elle si compliquée ? Quel est le rapport entre les rampantes et collantes limaces et l’or noir qu’est la truffe ? Voilà le type de question qui anime l’agronome globe-trotter Cédric Rabany. Sur un ton enjoué, si ce n’est familier (les pronoms se chevauchent, les adresses directes aux lecteurs s’enchaînent) nous voilà entraînés pas à pas dans les forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest, dans la vallée de Los Cinti au Chili, mais aussi en Corrèze. Attention toutefois. Si le sous-titre fait mention d’une recherche, c’est bien que celle-ci est toujours en cours. N’ouvrez donc pas ce livre si vous souhaitez y trouver des réponses et des astuces scientifiques valables sur n’importe quel sol, que ce soit celui de votre grand-mère en Auvergne, celui de vos parents dans le maquis corse ou celui de votre toit terrasse dans le XIXème. Au contraire et c’est là tout l’intérêt de la démarche de Rabany, il convient de s’éloigner le plus possible des abstractions des labos où «l’analyse devient prescription» pour partir à l’écoute des multitudes de vies que constituent chaque écosystème.
Mille feuilles sociophytologique
C’est donc par la diversité de ses acteurs, des relations qui unissent les plantes avec les autres organismes vivants, que l’approche s’effectue. L’agronome dans la conception qu’en a Rabany est un élément, un acteur dans la chaine vivante qui amènera les richesses du sol dans nos assiettes, et non pas le créateur hors sol (lire Où atterrir ? de Bruno Latour) d’une chimie qui détruit pour nourrir. Cette situation de lien entre la science du savoir des chercheurs et le savoir faire des agriculteurs n’est pour autant pas exclusif au domaine de l’agro-écologie, et peut aussi se vivre dans un autre champ, celui de l’écriture. C’est ainsi que l’agronome Rabany, pose son sac et ses bottes pour prendre le temps de transmettre certaines connaissances et bases de réflexions au lecteur-mangeur-de-kebab-buveur-de-vin-nature qui passerait par là. Nous nous retrouvons alors à évoluer entre la chimie minérale et la chimie organique, à explorer les chaînes de carbone, à se (re)familiariser avec les bases de la photosynthèse, à partir à la suite des vers de terre (séduisante description du fuselage révolutionnaire de ces derniers) jusqu’à se perdre dans les ramifications infinies que tracent les champignons dans les différentes couches terrestres. Car avant de penser à s’en mettre plein la panse, il est nécessaire de nourrir les plantes. Rien pour autant d’indigeste dans ce complexe argilo-humique. Comme un initiateur qui fait attention à là où nous mettons les pieds, Rabany prend le temps de l’explication, de la vulgarisation, de la respiration. Les paragraphes sont courts et les chapitres aérés. Les références nombreuses à la culture populaire permettent de créer des moyens mnémotechniques ou tout du moins d’esquisser un sourire. Et sous de justes formules s’exprime l’essence même de cette dynamique du bien comprendre, bien produire, bien consommer : « Le but de l’agriculture devient de permettre à la plante de gérer son stress. L’agriculture bien-être ».
Au fil de ces pages s’est confirmée empiriquement, scientifiquement mais aussi poétiquement l’inscription de la plante dans un écosystème. Dans ce milieu où tous les constituants sont interdépendants dans la recherche perpétuelle d’un équilibre optimal, se questionne la part de l’humain. Qu’il soit agronome, agriculteur, chercheur, lecteur, etc, il est invité à (re)prendre humblement pied dans la danse du minéral et du vivant, vivifié par cette énergie de l’échange, de l’écoute, de l’entraide.
