UNTITLED MAGAZINE
Réédité chez Albin Michel pour une nouvelle traduction, le deuxième roman de Louise Erdrich n'a pas pris une ride depuis sa publication en 1986 : une fresque familiale puissante et magnifique qui nous immerge au sein de sa galerie de personnages hors du commun.
Le pique-nique des orphelins narre l'histoire invraisemblable de 3 enfants abandonnés. Devenus orphelins, ils montent dans un train de marchandises vers le Dakota du Nord. C'est ainsi que démarre une immense fresque familiale, qui s'étendra au fil des pages sur quatre décennies, de 1932 à 1972.
Louise Erdrich a 32 ans lorsqu'elle publie en 1986 The Beet Queen (titre original du livre et référence à l'un des personnages du roman, marié à un gérant de champs de betteraves), et 34 ans lorsque ce dernier sera publié en France aux éditions Robert Laffont. Passé totalement inaperçu, happé par les affres du flot littéraire, Albin Michel donne à ce chef-d'oeuvre oublié une nouvelle chance de briller, grâce à la traduction d'Isabelle Reinharez.
Chronique familiale dans l'Amérique de la Grande Dépression
La narration se focalise principalement sur deux personnages : Mary et Karl Adare. Au début du roman, ces deux enfants frères et soeurs se rendent au "Festival des orphelins", une fête foraine locale et caritative, avec leur petit frère sans nom et leur mère Adelaide. Au gré de la ballade, la mère tombe sous le charme d'un aviateur présent au festival, qui s'envole avec elle et l'enlève à ses enfants. Scène irréaliste s'il en est, cette échappée laissera les trois enfants livrés à eux-mêmes. Tandis que le bébé se fait enlever par un illustre inconnu, Mary se fait élever par ses oncle et tante dans le Dakota du Nord et Karl grandit dans un orphelinat. Un début de vie traumatisant pour ces enfants qui grandiront durant la Grande Dépression et que Louise Erdrich va porter à travers leur croissance et leurs errements, de l'enfance à l'âge adulte... Des personnages qui vogueront tant bien que mal sur les flots déchaînés d'une vie qui ne les épargnera pas.
Rêves et réalités burlesques ou tragiques
De Minneapolis où commence le roman en 1932, Louise Erdrich fait voyager ses personnages jusque dans un Dakota du Nord (qu'elle connait bien) en 1972. Quarante ans durant lesquels ses personnages vont s'ébrouer pour échapper aux fanges de l'atavisme dont ils sont les victimes inconscientes. Burlesque lorsque son réalisme se fait magique, à la faveur d'une mariée qu'on enlève ou d'une figure de saint qui apparait dans la glace; tragique lorsque les scories d'une vie mal démarrée pèsent sur les épaules de ces personnages perdus et bancals... Le pique-nique des orphelins est unique en son genre, mêlant sans cesse rêve, réalité et imaginaire dans une narration fluide et polyphonique qui nous permet d'accéder à la psyché torturée de tous ses personnages. Cauchemar ou réalité, l'auteure ne fait jamais son choix, laissant ses enfants imaginaires se débattre contre les affres menaçantes de la folie.
Le pique-nique des orphelins est un grand roman du paysage littéraire Américain, qui confirme par sa passion et sa violence le talent indiscutable de son auteure.
Louise Erdrich, "Le pique-nique des orphelins", Editions Albin Michel, 480 pages, 24 euros.
