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"Le mystère de la femme sans tête", un livre de Myriam Leroy

25 mai 2023, par Mathilde Ciulla

Comme à son habitude, ce sont des femmes que Myriam Leroy met à l'honneur. Dans son nouveau roman, elle s'intéresse à Marina Chafroff, une exilée russe décapitée à Bruxelles pendant la Seconde guerre mondiale pour avoir poignardé un nazi, oubliée de tou.tes. Les époques se superposent, avec toujours le même constat pour l'autrice : l'invisibilisation historique des femmes.

En 2022, Myriam Leroy découvre la tombe de Marina Chafroff, dans un cimetière d'Ixelles, où elle vit. La jeune Russe, mère de deux garçons, a été décapitée en 1942 sur ordre d'Hitler alors qu'elle s'est dénoncée pour libérer 60 innocents qu'on avait reconnus coupables d'un crime sur un officier allemand. L'autrice est rapidement fascinée par le courage de cette jeune femme qui s'est sacrifiée pour sauver des innocents et dont l'histoire n'a rien retenu - il n'existe qu'un post de blog écrit par un Espagnol qui relate les faits de résistance de Marina. C'est donc pour donner quelque peu justice à cette femme mais aussi troublée par toutes les coïncidences géographiques qui les relient que Myriam Leroy entreprend la rédaction de ce livre.

"Tu n'en reviens pas. Cette femme, taillée dans le marbre dont on fait les déesses, cette héroïne fabuleuse reposes sous une petite pierre sans éclat et ne dispose d'aucune rue à son nom, pas même d'un square ni d'une plaque."

Femme décapitée, femme oubliée

Ne disposant que de très peu d'éléments factuels sur la vie de Marina - son emprisonnement à la prison pour femmes de Cologne et le rapatriement de son corps en Belgique à la fin de la guerre -, Myriam Leroy fait donc oeuvre de fiction : elle a inventé sa vie et ses pensées, s'est laissée entraîner à la suite de la jeune femme pour lui redonner vie. Elle alterne des chapitres où elle recompose la vie de son héroïne, depuis son exil en Belgique au moment de la Révolution bolchévique de 1917 à ses actes de résistance face à l'occupation nazie en passant par son coup de foudre pour Youri et la naissance de ses deux garçons. L'initiative de l'autrice ne se voulant aucunement oeuvre historique, on apprécie à sa juste valeur son imagination qui nous rend Marina sympathique bien que distante. Les autres chapitres sont des réflexions passionnantes et plus personnelles sur l'enquête menée par Myriam Leroy pour écrire ce livre auprès de son fils cadet encore vivant mais très jeune lors de sa mort et des rares sources qu'elle retrouve.

Un élément ressort très clairement du travail de Myriam Leroy et l'interroge au plus au point : personne ne prend Marina au sérieux, surtout pas son fils qui remet en doute son acte. Comme si elle avait été incapable d'une résistance décidée, d'une action politiquement ou idéologiquement motivée. Il semble donc que l'autrice se soit confiée une mission : mettre en lumière la vie de Marina Chafroff, héroïne du quotidien de la résistance nazie, courageuse et oubliée, pour redonner leur juste place à toutes les femmes dans l'histoire, qu'on a oubliées, quelles qu'aient été leurs motivations et leurs pensées profondes.

"Tu lui prêtes tes affects. Tu ne te préoccupes pas de ceux qui vont taxer ce parallèle d'obscénité, parce que s'il y a une chose dont tu ne doutes plus, c'est qu'il existe un lien d'humiliation unissant toutes les femmes, comme un cordon, qui se déploie de cou en cou à travers les âges. Une communauté secrète dont les archives, qu'on s'emploie à détruire, dégoulinent de pisse, de bave et de sperme. Tu ne sais plus où tu as lu que le point commun entre les femmes, le seul peut-être, c'est qu'on les traite comme des femmes. Tu ne saurais mieux dire."

Dans ce troisième roman de Myriam Leroy, nous retrouvons sa plume honnête et acerbe, et le passage au systémique et au politique à partir de l'expérience féminine qui nous avait déjà bouleversé dans Les yeux rouges. Ce travail féministe s'inscrit dans cette volonté de redonner place aux femmes dans l'histoire, renforcé et rendu d'autant plus nécessaire par les parallèles que l'autrice fait avec notre époque et les récits autour des actes des femmes. Quelles que soient les raisons qui ont motivé Marina Chafroff, nous savons désormais qu'une femme courageuse repose, sans tête, dans le cimetière d'Ixelles.

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"Le mystère de la femme sans tête", Myriam Leroy, Editions du Seuil, 288 pages, 19,50€

Découvrez d'autres livres de l'autrice :

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auteur
Rédactrice en chef Littérature


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