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“Le choix”, un livre d’Isabelle Hanne

10 mars 2023, par Mathilde Ciulla

Dans une Amérique post-Trump divisée, Isabelle Hanne plante le décor d’une clinique pour l’avortement prise d’assaut par des opposants. A travers une diversité de personnages, nous suivons les obstacles auxquels font face les femmes pour avorter.

Cette clinique qui pratique des avortements à Dallas, au Texas, où travaille Luke, médecin, doit affronter en 2021 une armée de militant.es pro-life qui, tous les vendredis, essayent d’empêcher les femmes de se faire avorter. Ce “sidewalk counceling” n’est ni plus ni moins du harcèlement des femmes pour contrôler leur corps et leur vie. Alors qu’un arrêt du sénat de l’Etat interdit désormais aux femmes d’obtenir un avortement au Texas dès qu’un battement de coeur est perçu sur l’échographie, les attaques et humiliations de ces militant.es sont une double peine.

La voix du sénateur d’Etat, avec son martèlement calculé, ponctué d’applaudissements nourris, lui parvient avant même d’entrer dans le salon : “Je suis honoré de soutenir la vie et la liberté dans notre Etat, et j’ai toujours promis de défendre la vie, la sainteté de la vie, et ce dès la conception, pour protéger tous les enfants à naître.” Unborn babies. Bingo papa, pense-t-elle.”

En plus de la domination du corps des femmes, ce débat est éminemment politique : le sénateur de l’Etat du Texas, le père de Leah, adolescente qu’on suit dans ses réflexions et dans ses prises de conscience féministes, est en campagne pour sa réélection et il est très clair que les habitant.es de cet Etat du Sud conservateur sont très attaché.es aux arguments pro-life. Leah, issue donc de cette famille de notables, doit porter au lycée un anneau de virginité, écouter les sermons paternels et l’accompagner à des levées de fonds. Mais depuis quelques mois, au contact d’une amie, elle commence à interroger ces certitudes que ses parents ont toujours défendues.

Quand le politique et le religieux se mêlent du corps des femmes

Le roman d’Isabelle Hanne, journaliste jusqu'à récemment basée aux Etats-Unis, s’inscrit dans ce contexte de tensions et de reculs des droits des femmes qui amènera à l’annulation fédérale de Roe v Wade en 2022, alors même que les démocrates ont repris le pouvoir. La pression exercée par le camp pro-life sur ces femmes met en difficulté également la clinique de Luke et son personnel.

Une fois la première onde de choc absorbée, après l’entrée en vigueur de la loi qui les avait laissés exsangues à la clinique, les patientes avaient compris qu’elles pouvaient toujours se faire avorter, à condition de le faire très vite. C’est comme si elles s’étaient donné le mot : tous les jours désormais, il y en a plusieurs qui appellent préventivement, avant même d’avoir eu un test de grossesse positif, avant même un retard de règles, simplement parce que dans ce nouveau monde, elles ont perdu confiance en leur contraception. Elles ne font plus confiance à leur propre corps.

La journaliste, de ce style direct mais sensible, empreint d’expressions en anglais dans le texte, insiste sur les premières victimes de ces reculs : des femmes précaires, majoritairement issues de minorités ethniques qui ne peuvent se permettre de traverser la frontière pour se faire avorter dans un autre Etat. A l’image de Norma, jeune femme déjà mère célibataire, personnage qui permet à Isabelle Hanne de montrer les inégalités raciales et de classe pour l’accès à l’avortement. D’autant plus quand elle s’avère être la femme dont Mark, l’un des organisateur.rices des manifestations pro-life du vendredi devant la clinique, est fou amoureux…

Les vrais perdants sont toujours les mêmes, en l’occurence des perdantes. Des pauvres, des Noires, des Latinos, des déjà mères, des femmes seules, des femmes de ménage, des nannies, des étudiantes, des violées, des incestuées, des battues, des undocumented, des qui peuvent même pas payer leur loyer, des qui peuvent même pas se payer la merde en barquette de chez Walmart, des qui rêvent à autre chose qu’à changer des couches.

Que ce soit pour des raisons religieuses ou politiques, le contrôle du corps des femmes, leur instrumentalisation et leur domination est au coeur du premier roman d’Isabelle Hanne et renforce la nécessité de se battre pour la constitutionnalisation de droit à l’avortement en France, afin d’éviter de tels reculs et de telles catastrophes.

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"Le choix", Isabelle Hanne, Editions La Goutte d'Or, 350 pages, 19,50€




auteur
Rédactrice en chef Littérature


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