A la fin de la Seconde guerre mondiale, craignant pour sa vie, Hitler engagea des « goûteuses » afin de ne pas être empoisonné par ses ennemis. Rosella Postorino revient sur cette incroyable histoire mettant encore plus en avant la cruauté du Führer.
Reclu dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisé par ses ennemis, Hitler fera recruter des goûteuses. Parmi elles, on découvre Rosa. A la caserne de Karusendorf, ces femmes, recrutées de force par les SS, doivent s’assurer, trois fois par jour, que les plats d’Adolf Hitler ne soient pas empoisonnés.
Pourtant, Rosa n’a jamais été proche du régime nazi. Après le décès de sa mère et l’engagement de force de son mari dans les troupes, elle déménage à Gross-Partsch par nécessité. Un village situé à proximité du Wolfsschanze, le quartier général du Führer, en plein dans les bois. « Ce jour-là, entre les quatre murs blancs du réfectoire, je devins une gouteuse d’Hitler. C’était l’automne 1943, j’avais vingt-six ans, cinquante heures de voyage et sept cents kilomètres dans les pattes. J’avais quitté Berlin pour la Prusse-Orientale, la région natale de Gregor, et Gregor n’était pas là. Fuyant la guerre, j’avais déménagé depuis une semaine à Gross-Partsch. Ils s’étaient présentés la veille sans prévenir chez mes beaux-parents et avaient déclaré nous cherchons Rosa Sauer ».
Mauvais moment, mauvais endroit. Elle sera rapidement capturée par les troupes SS, forcée de collaborer, de devenir goûteuse mais surtout de prendre part à ce régime qu’elle ne cautionne pas. A chaque bouchée, la peur au ventre, Rosa devra s’exécuter en sachant que cette bouchée sera peut-être la dernière. « Au début, nous prenons de petites bouchées, à croire que nous ne sommes pas obligées de tout avaler, que nous pouvons refuser cette nourriture, ce repas qui ne nous est pas destiné, qui nous incombe par hasard, c’est le hasard qui nous rend dignes de partager son ordinaire. Mais ensuite, les aliments glissent dans l’œsophage, atterrissent dans ce creux qu’est notre estomac, et plus ils le remplissent, plus le creux grandit, plus nous serrons fort nos fourchettes ».
Contraintes et forcées, les goûteuses avaient pour mission de goûter tous ses repas. Par temps de guerre, de misère et de famine, les goûteuses se voient offrir un véritable cadeau empoisonné. En acceptant ce rôle, elles tenteront à la fois de survivre en acceptant de mourir. Entre angoisse et soumission, à chaque instant elles essayeront d’analyser chaque petite sensation, vivant avec la peur perpétuelle de succomber au poison. Et durant plus de deux ans, la nourriture sera au cœur de leur quotidien, vivant comme des cobayes avec au-dessus de leur tête une épée de Damoclès.
Inspiré de faits réels
Rosella Postorino, éditrice et journaliste italienne, s’est inspirée d’une histoire vraie encore trop méconnue de la Seconde guerre mondiale. Pour écrire ce roman, elle s’est intéressée à la vie de Margot Woelk, seule goûteuse à ce jour à avoir témoigné sur son expérience. Et c’est comme ça que Margot Woelk est devenue Rosa Sauer pour le roman. C’est elle qui nous relate le quotidien des goûteuses d’Hitler, cloitrées dans une caserne voisine à celle du Führer. La peur au ventre, les SS les terrorisent, les traitent comme des cobayes et les forcent à avaler une heure avant les repas. Mais les SS ne seront pas les seuls que Rosa devra affronter. Considérée comme une étrangère, venant de Berlin, elle fera face aussi l’hostilité de ses compagnes. Dressant au départ un écran de solitude, d’hostilité, elle tentera de lier une amitié avec les autres goûteuses. A la fois solidaires mais aussi rivales, victimes et complices, ces femmes devront faire face ensemble à la dureté psychologique de cette mission et aux violences.
Historiquement bien documenté, Rosella Postorino apporte de nouvelles informations pour dévoiler le visage, encore plus sinistre d’Adolf Hitler. Parfaitement écrite, d’une finesse incroyable, l’histoire s’articule avec brio autour d’une confrontation permanente entre bourreau et victimes. Un récit émouvant, qui explore les relations, inspiré de l’histoire vraie de Margot Woelk et qui nous interroge sans cesse sur ce que signifie être humain.
La goûteuse d'Hitler, Rosella Postorino, Albin Michel, 400 pages, 22 euros