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Rentrée littéraire : “La Dépendance”, un roman de Rachel Cusk

12 décembre 2022, par Laurence Lesager

Lauréate du Prix fémina étranger 2022, l’essayiste et romancière britannique signe avec La Dépendance un roman d'introspection qui questionne les rapports humains et la vocation artistique.

M est une romancière fascinée par les œuvres de L. Elle vit avec son mari dans un cadre idyllique, dans “le marais”, avec un terrain impressionnant et une dépendance reconvertie en résidence d’artistes. M rêve d’y accueillir L, ce peintre mondialement connu qu’elle admire tant. Lorsqu’il lui répond par l’affirmative à son invitation, M jubile, mais le célèbre artiste ne vient pas seul, et entre-temps, la fille de M et son petit ami, Kurt, sont de séjour dans la demeure. Petit à petit, des tensions se créent et viennent contrebalancer ce cadre si romantique et merveilleux.

La rencontre

C’est lors d’un séjour à Paris que M tombe sous le charme de L, ou plutôt de ses peintures et de ce qu’elles lui font ressentir : “C’est à Paris, au petit matin que ce feu a démarré (...) J’ai bientôt vu, devant moi, un panneau installé sur le trottoir et, sur ce panneau, une image. C’était la reproduction d’un tableau de L, qui illustrait une publicité pour une exposition de son œuvre dans une galerie du quartier. Même de loin, j’y ai reconnu quelque chose, bien que je sois aujourd’hui encore incapable de définir quoi exactement”.

La rencontre hasardeuse avec ce tableau a eu l’effet d’un électrochoc sur la romancière qu’est M, et c’est piquée par la curiosité qu’elle suit les panneaux jusqu’à atteindre la galerie où sont exposées les œuvres de L. Elle y découvre des tableaux qui font écho à ses réflexions métaphysiques, mais ce qui la frappe le plus est l’autoportrait de L : “A propos, le tableau était un autoportrait, l’un des saisissants portraits de L dans lesquels il se représente à une certaine distance, celle que l’on observerait peut-être face à un inconnu. (...) il s’agit de la même froideur et d’une solitude cosmiques. (...) En observant ce tableau, c’est de la pitié que j’ai ressentie, pour moi-même et pour nous tous”.

A cette époque M était âgée d’une vingtaine d’années, mais la ferveur qu’elle a nourri à l’égard de cet artiste ne s’est pas estompé avec les années, et c’est désormais âgée dans la cinquantaine qu’elle franchit le pas de lui écrire et de l'inviter dans sa dépendance. Une lettre envoyée avec beaucoup d’espoir mais sans grandes illusions de réponse, et pourtant : “Il a répondu presque immédiatement, Jeffers, ce qui m’a quelque peu surprise.

Fausse joie

Naît alors une correspondance entre M et L. M lui décrit les lieux et son rythme de vie avec son compagnon, Tony. Quant à L, sa notoriété lui fait défaut et il annule à deux reprises sa venue, préférant aller vers une autre destination. Ce n’est que lorsque ce dernier se trouve dans une situation fâcheuse qu’il accepte la proposition de M : “J’ai perdu ma maison, de même que ma résidence à la campagne. (...) Pouvez-vous m’accueillir ? Je pense être capable de venir jusqu’à vous. J’ai trouvé un moyen.

Entre-temps, Justine, la fille de M, et Kurt, son compagnon, sont arrivés au marais et devaient initialement résider dans la dépendance lors de ce séjour. L’arrivée soudaine de L demande au couple une réorganisation des espaces et M prend à part les jeunes amoureux afin de leur expliquer la situation. Justine entend la problématique mais ne semble pas se préoccuper des conséquences de cette venue ni du malaise qu’elle pourrait entraîner si M, Tony et L devaient cohabiter ensemble dans la grande maison et partager leur intimité. Le quatuor finit par se mettre d’accord : L prendra la dépendance, de ce fait, ils n’auront pas à partager le même espace restreint que lui : “A vrai dire, je ne savais pas pourquoi c’était impossible, simplement, cette perspective même - Tony, L et moi vivant tous trois dans la promiscuité - me donnait envie de me recroqueviller, et essayer de l’expliquer à Justine était presque aussi terrible.

L’arrivée de L perturbe fortement la tranquillité du marais et la famille de M n’est pas au bout de ses surprises, car L ne vient pas seul. A ses côtés se trouve Mme Brett, une séduisante jeune femme à l’allure raffinée, mais qui ne fait malheureusement pas l’unanimité, d’autant plus que personne ne s’attendait à ce que L vienne accompagné : “Je me suis ainsi retrouvée à échanger une poignée de main non pas avec L mais une séduisante créature qui devait approcher de la trentaine, dont l’allure assurée et élégante tranchait entièrement avec le décor”. Prise au dépourvue, M n’a pas le choix que de s’adapter à la situation. Néanmoins, ce coup de théâtre n’est que le préambule des tensions à venir.

D’une plume électrique, Rachel Cusk transforme une malheureuse anecdote en un roman passionnant sur les relations humaines, le statut de la femme en fonction de son âge par les trois personnages féminins du texte (Justine, Mme Brett et M), mais aussi sur la légitimité de l’art et sur la dépendance, celle de la résidence, bien sûr, qui est le théâtre des émotions et tensions des personnages, mais aussi de la dépendance affective et de son rapport de puissance et de détresse chez les humains.

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“La Dépendance”, Rachel Cusk, Editions Gallimard, 208 pages, 20 euros.




auteur
Rédactrice chez Untitled depuis 2021, Laurence est libraire passionnée de littérature et de tout ce qui touche au monde de l'art et de la culture


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