Pour son douzième roman, la romancière Karine Tuil s’attaque au sujet brûlant du terrorisme islamique, sous forme de thriller. Méticuleusement, elle décrit le poids qui pèse sur son héroïne, juge d’instruction antiterroriste qui doit décider du sort d’un homme suspecté d'allégeance à Daesh.
Alma, une juge antiterroriste chargée d’instruire le dossier d’un jeune homme suspecté d’avoir fait allégeance à Daesh lors d’un séjour en Syrie, se retrouve à devoir prendre une décision. Une première décision qui va suivre la seconde, car au même moment elle tombe amoureuse d’Emmanuel, avocat spécialiste des causes perdues qui assure la défense de l’accusé. Une liaison contre toute déontologie, qui la place dans une situation complexe, alors qu’elle doit statuer sur le sort du prévenu.
Dans la peau d’une juge d’instruction
Depuis toujours, l’actualité colle à la peau de Karine Tuil. Et c’est sans grand étonnement, qu’elle a choisi pour son nouveau livre de faire la lumière autour de ce métier, si peu connu. Dans ce récit à la première personne, l’héroïne - coordinatrice du pôle d’instruction antiterroriste - nous éclaire sur les réalités de ce rude métier. Sous la pression des uns et des autres, chacun doit peser le pour et le contre et prendre des décisions amenées à engager la sécurité des uns mais aussi la vie des mis en accusation.
“On passe des heures avec les mis en examen, pendant des années, des heures compliquées au cours desquelles on manipule une matière noire, dure. A la fin de mon instruction, je dois déterminer si j’ai suffisamment de charges pour que ces individus soient jugés par d’autres. C’est une torture mentale : est-ce que je prends la bonne décision ? Et qu’est ce qu’une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ?”
Un métier qui s’avère aussi risqué, puisqu’il empiète sans cesse sur sa vie privée, avec des horaires de travail à rallonge, un téléphone qui n’arrête pas de sonner, des déplacements, et sans compter les messages de menaces reçus en permanence. Une vie professionnelle absorbante, qui déteint sur sa vie privée et empêche l'héroïne de profiter de son mari et de ses trois enfants.
Prendre la “bonne” décision
Faut-il relâcher un homme rentré de Syrie et qui jure s’être trompé sur l’Etat Islamique ? Continuer à vivre avec ce mari assommant ? Vivre une idylle passionnée mais interdite par la déontologie du métier ? “Mon métier m’a appris que tout peut basculer en un instant dans la tragédie, que rien n’est définitif - le bonheur ne serait jamais qu’un état fugitif et éphémère.”
Entre interrogatoires, extraits téléphoniques, retranscriptions, Karine Tuil décrit avec minutie le déroulement de l’instruction. Tandis que le suspect ne cesse de clamer son innocence, elle doit évaluer sa dangerosité, comprendre son parcours et décide d'opter pour un emprisonnement ou un relâchement sous contrôle judiciaire.
“Une neutralisation à l’interpellation qui est légale évite les détentions compliquées à gérer avec des individus qui vont passer leur vie à former des futurs terroristes, à préparer des attentats depuis leurs cellules et à tenter de tuer des surveillants.”
Mais en parallèle, c’est une décision personnelle que l’héroïne devra prendre. Doit-elle se libérer de ce mariage au risque de faire de la peine à ses enfants ? Doit-elle vivre cette passion amoureuse à défaut de perdre son emploi ? Face à ces interrogations, le récit s’accélère et s’emballe. Jusqu’à la fin, on veut connaître LA décision qui fera tout chambouler.
Dans ce nouvel opus, Karine Tuil aborde des sujets qui lui sont chers comme le couple, la vérité ou encore la justice. Très documenté, elle signe un récit parfois angoissant, dans lequel elle illustre avec brio ces incertitudes présentes dans la vie d’Alma, tantôt mère de famille tantôt juge d’instruction.
"La décision", Karine Tuil, Edition Gallimard, 304 pages, 20 euros