Dans son deuxième roman, la Néerlandaise Hanna Bervoets s'intéresse aux années sida à partir du croisement de deux récits et de plusieurs temporalités. L'autrice livre une fois de plus un roman dérangeant, dans lequel la recherche scientifique est poussée à l'extrême.
C'est la mention par son compagnon de la ville de New York qui ravive chez Felix le souvenir des mois qu'il y a passé, au milieu des années 1990. Au cours d'un échange universitaire et un peu perdu dans ses études, il avait espéré se retrouver en quittant les Pays-Bas. Au fil des cours choisis un peu par hasard en arrivant à New York, il rencontre Lois, qui l'introduit auprès d'Helena Frank, une virologue qui travaille sur les origines du virus du sida. Se noue alors une relation triangulaire des plus étranges dans laquelle Felix est complètement perdu : il ne comprend pas ce qu'on attend de lui mais ne peut s'empêcher de côtoyer les deux femmes.
En parallèle, Hanna Bervoets fait le récit historique des recherches - perturbantes mais bien réelles - d'un scientifique russe, Ilya Ivanov, qui a tenté dans les années 1920 de créer un hybride mi-homme mi-singe... Nous suivons donc l'homme dans ses expériences africaines mais aussi à son retour en Russie où il continue ses recherches, encouragé par le pouvoir soviétique. C'est d'ailleurs par une scène d'insémination artificielle de femelles chimpanzés que s'ouvre le roman, avant que le scientifique ne décide d'inverser le processus et d'inséminer des femmes avec du sperme de chimpanzé.
Le lien entre ces deux récits ? Le sida. En effet, certaines théories affirment que ce type de recherches pourrait être à l'origine de la mutation du virus et de sa propagation aux êtres humain.es. Et c'est le sujet des recherches d'Helena Frank, complètement fascinée par le scientifique russe, qui lui valent, au moment où Felix est à New York, d'être rejetée par l'université dans laquelle elle travaille. Cette temporalité new-yorkaise nous plonge dans les années 1990 au cours desquelles l'épidémie du sida fait rage et tue encore bien trop de gens.
Exercice d'écriture et de mémoire
La plume est tenue par un Felix plus âgé, revenu aux Pays-Bas, qui fait le récit de ces mois qui l'ont marqué à jamais et qu'il avait enfoui profondément jusqu'à présent. Il repense donc à sa jeunesse, semblant ressentir pour celui qu'il a été une tendresse qui a ses limites ainsi qu'une forme de jugement que lui donne le recul de son âge.
"Et vous savez, à présent que je raconte cette histoire, je remarque que je ne m'en sors pas toujours. Que je voudrais parfois pouvoir interroger le garçon en chemise rouge. Mon image de toi correspond-elle à ton image de toi ? Ne suis-je pas trop prompt à projeter mon désir d'agir rationnellement, à partir de motivations claires, sur ta personnalité impulsive ?"
Pour Felix, le souvenir est entaché par le temps qui est passé, l'expérience est revisitée par la connaissance du dénouement qu'il en a déjà. Un dénouement présent tout au long du récit, que nous cache Hanna Bervoets mais qui hante son personnage et nous force à tourner les pages pour le découvrir. Ce dénouement semble être le secret qui unit Lois et Helena, et qui ne permet pas à Felix de se détourner des deux femmes.
Hanna Bervoets réussit encore une fois à nous perturber et aborde le sujet du sida par un angle peu étudié, surtout dans la fiction. A la suite de Felix et de ces mois états-uniens, nous frissonnons au contact de la mystérieuse Helena et de ses travaux.