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"L'apparence du vivant", un livre de Charlotte Bourlard

25 avril 2022, par Mathilde Ciulla

Dans un premier roman où le macabre côtoie l'amour, Charlotte Bourlard propose un exercice de style qu'on dévore, sans se départir d'une moue de dégoût.

Alors que la narratrice poste une annonce pour photographier un couple de personnes âgées nues, elle est contactée par Madame Martin et son mari. Dès leur première rencontre, une forme de fusion s'opère entre les deux femmes et la narratrice s'installe dans la grande maison de ce couple, anciens propriétaires d'un funérarium. Une vie quotidienne s'instaura alors, faite de promenades le long du canal, de photographies et de taxidermie, passion de Madame Martin qu'elle enseigne à la jeune femme.

Une langue chirurgicale

Charlotte Bourlard ne trompe personne : dès les premières pages, l'ambiance est glauque et morbide. On se retrouve comme dans une pièce où ne filtrerait que peu de lumière, où la poussière volerait dans les rayons et où l'odeur serait difficile à soutenir. Tout cela narré dans une langue crue et directe, le langage de l'horreur et de la mort, totalement maîtrisé et qui nous happe. Quoique dérangeante, la relation qui s'instaure entre les deux femmes qu'une génération sépare s'apparente à de l'amour, à de l'attachement loyal et fidèle sans limite.

"Madame Martin ressemble à une grand-mère innocente. Elle est vieille et coquette. Personne n'aurait envie de la soupçonner. J'ai renoncé à mes projets pour m'embarquer avec elle. Les gens de mon âge ne m'ont jamais intéressée. Je lui raconte ma vie avant elle. Ses yeux me traversent. Elle réclame des détails. On mûrit nos plans. Elle m'apprend à réfléchir. Je jure de ne jamais la décevoir. Elle me dit que ça va être long. Je ne suis pas pressée."

Malgré le sentiment d'étrangeté créé à la lecture de ce roman, on ressent comme une impression que tout rentre en ordre, que la narratrice a trouvé sa place aux côtés de ce couple - comme si on pouvait prendre une intense respiration et regarder leur relation se développer sous nos yeux.

De la fascination à la transmission

Les corps exercent une fascination sur la narratrice qui semble tout voir à travers la lentille d'une mise en scène - celle de la photographie et celle de la mort. Les corps autant vivants que morts sont ses compagnons de chaque instant. Au fil du récit, elle nous entraîne dans des souvenirs d'enfance et de vie qui sont une montée en puissance dans l'horreur de ce qu'on vit et qu'on subit - sa vie passée, celle du couple Martin, leur vie commune désormais.

"Elle aime que je la voie nue. Sa peau est pâle, presque translucide. Les sillons qui fouillent son corps creusent les contours de son squelette. Sa chair abîmée dessine des vagues qui me bouleversent."

Les liens qui unissent Madame Martin et la narratrice sont forts, comme la rencontre entre deux âmes faites pour cohabiter. Leur relation est comme sublimée par l'inéluctabilité de la mort, toujours présente, son impact sur les corps - le temps qui passe et l'aspect passager de la vie. Elles semblent être deux faces d'une même pièce - deux âges rassemblés. Et Madame Martin transmet à la jeune fille sa passion de toujours : la taxidermie. Unies dans cette activité et grandies par leur proximité, on les suit au cours de l'apprentissage de la narratrice, accompagnées d'une écriture chirurgicale, détaillée, où chaque mot rend l'horreur de l'acte tout en laissant transparaître l'affection qui ne les quitte pas.

Dans un premier roman perturbant, Charlotte Boulard sublime les liens d'amour qui peuvent exister entre deux femmes que pourtant rien ne destinait à se connaître - un amour presque filial, un amour de la transmission, un amour jusque dans la mort.

"L'apparence du vivant", Charlotte Bourlard, Editions L'Inculte, 132 pages, 13,90€




auteur
Rédactrice en chef Littérature


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