Deux ans après la parution de Présentes, Lauren Bastide, journaliste et fondatrice du Podcast La Poudre, nous présente Futur-es : comment le féminisme peut sauver le monde. Un titre dans la continuité de Présentes et dans la même lignée que le dernier Mona Chollet, Réinventer l’amour.
On y trouve les fondements d’une société réellement féministe. Un futur possible si la société s’en donnait les moyens, ne s'enfermait pas dans des normes et le schéma patriarcal. Dans cet essai, Lauren Bastide vulgarise les grandes théories féministes et propose des solutions pour venir à bout des problèmes et des urgences de notre époque.
Au-delà des normes, la théorie queer : être pleinement soi-même
Lauren Bastide décortique ce futur pluriel et collectif en quatre grandes parties. La première, celle de s’affranchir des injonctions et des contraintes en ce qui concerne notre identité, sexualité et la parentalité. La seconde partie consiste à repenser le système carcéral en répondant aux crimes par la réparation et non par l’exclusion. Ensuite, elle développe le sujet du care, c'est-à-dire du rapport à prendre soin des uns et des autres et ce que ça apporterait dans notre relation au travail. Enfin, l’importance de l’écoféminisme dans la préservation de notre environnement, de la nature et de notre planète.
“L’horizon féministe est un horizon sans genre, et imaginez comme ce monde serait reposant, puisque personne ne serait contraint de conformer son corps, ses vêtements, son attitude et sa pensée au moule du genre. (...) Car nous serons tous et toutes libéré-es des carcans que la société a tenu à faire dériver de nos caractéristiques biologiques. Et ça sera bien.”
Dans un futur idéal, on serait tous et toutes libérés des injonctions et pourrions vivre notre rapport au corps et notre sexualité comme nous le ressentons et non comme on nous l’impose dès la naissance. Le monde ne serait pas divisé dans un système binaire, avec d’un côté les hommes et de l’autre les femmes, d’un côté la norme hétérosexuelle et de l'autre les déviants : la communauté LGBTQIA+, d’un côté les blancs et de l’autre les personnes racisées. Dans ce futur idéal, le respect serait fondamental et “nous serons libres d’être nous-mêmes”, sans craintes, sans honte, sans peines, sans crimes.
Une société qui répare et prend soin de l’autre plutôt qu’elle ne réprimande et exclut
A travers son histoire personnelle et intime, l’auteure revient sur les viols et féminicides, bien trop souvent laissés sans suite par la justice française. Elle propose également de revoir le système pénal et de mettre davantage en avant un système “réparateur” des crimes et délits, plutôt que l’exclusion, qui n’empêchera pas la personne coupable de recommencer une fois sa peine terminée.
“Pourtant, il me semble que cet homme, on ferait mieux justement d’aller le voir, de lui expliquer ce qu’on sait du viol, ce qu’on comprend de son attitude, lui glisser des pistes pour réparer sa victime, pour changer, pour évoluer. (...) Un agresseur reste un humain qui souffre, surtout si l’accusation s’entremêle à de la violence raciste ou classiste, surtout s’il a lui-même été victime, surtout si sa santé mentale est fragile. (...) Le viol est un crime depuis 1980, il est puni d’une peine de prison de quinze ans. 1% des auteurs de viol finissent en prison. Voilà, relisez ces deux phrases calmement, la démonstration est faite. Je viens de prouver que la répression pénale n’avait aucun pouvoir de dissuader qui que ce soit de violer.”
Pour faire suite à ce constat, Lauren Bastide nous oriente vers le care féministe. Celui où on prend soin des autres et où on considère et se soucie d’autrui. Elle prend pour exemple les paroles de nos grands-mères et des personnes âgées tues, peu représentées dans la sphère médiatique, ainsi que la crise sanitaire du Covid-19 où le personnel soignant a été mis en avant ainsi que les métiers dits “essentiels”. Et il s’est révélé que ces personnes essentielles appartenaient en majorité à la classe moyenne et pauvre.
“Le care, c’est le soin. Mais ce mot ne traduit pas complètement l’intention qu’il porte en anglais. (...) Care, ça donne “I take care of you”. Je m’occupe de toi. Mais aussi “I care about you”. Tu m’importes. Je te porte de l’intérêt. La notion féministe de care englobe tout cela. Le soin, la sollicitude, l’attention - la tension - vers l’autre. (...) Le care c’est soigner, mais c’est aussi savoir ce que ça produit de soigner, sur le corps et sur les esprits.”
L’importance de l’écoféminisme
Après avoir souligné les failles cruciales de notre système et donné des pistes pour un futur désirable - la théorie queer, une justice réparatrice plutôt que punitive et l’éthique du care dans notre quotidien - Lauren Bastide en vient inévitablement à l’écoféminisme. Oui, car l’écologie touche aussi le féminisme et on y trouve des similitudes. C’est un sujet qui nous concerne tous-tes. Introduit par Françoise d’Eaubonne en 1972, ce terme reprend la thèse que la nature, comme les femmes, sont victimes de la domination masculine : “Le réchauffement climatique affecte et affectera les femmes plus durement que les hommes. Parce qu’elles constituent la majeure partie des populations pauvres et précaires (...), parce qu’elles ne sont pas propriétaires des terres (...). Les femmes ont moins souvent accès à l’eau potable, aux techniques de l’information et peuvent se trouver plus démunies que les hommes face aux urgences qu’entraînent les sécheresses ou les inondations, elles sont, plus souvent que les hommes, contraintes de vivre en interdépendance avec les ressources locales. A cause de leur rôle au sein des familles, elles sont moins autorisées à migrer pour chercher refuge dans d’autres lieux quand un cataclysme détruit leur environnement.”
La question environnementale a alors toute son importance dans la lutte féministe. Tant que le patriarcat demeurera, les femmes seront plus facilement en proie aux inégalités, et ce, à l’échelle même des catastrophes naturelles. L’écoféminisme va plus loin aussi au-delà de la binarité homme/femme. L’écoféminisme, c’est surtout l'embrassement du vivant, des êtres humains, de la nature, des espèces, de la faune et de la flore, qui forme un tout et qu’il faut préserver. Une coexistence, un cycle. Actuellement, par son désir du “progrès”, l’humain en est arrivé à un point de non-retour en termes de destruction écologique. Au lieu de préserver son environnement, il le détruit et peu sont les manifestations et actes pour éviter à la situation de s'aggraver.
“Réfléchir au sexisme, ça amène en ligne droite à réfléchir au sort des malades, des migrant-es, des handicapé-es, de la nature, des animaux, de tout le vivant en somme. Si on se mettait vraiment, collectivement, à penser comme cela, à sortir de l’obsession de la liberté individuelle, pour caresser l’épiderme du monde d’un regard traversant et mobile ? Alors on comprendrait que l’urgence est de sauver le vivant. Tout le vivant, toutes les vies humaines, mais aussi animales. On comprendrait que la seule urgence, pour le futur, est de rendre toutes les vies pleurables.”
Futur-es de Lauren Bastide est un essai complet et nécessaire qui met en lumière une lecture du féminisme qui va au-delà de l’égalité homme/femme. C’est une lecture du monde sous le prisme du féminisme certes, mais aussi sur les solutions que ce mouvement et ces idées peuvent apporter à notre monde, à notre futur. Elle parle d’un monde plus juste, respectueux, à l’écoute et bienveillant, mais aussi d’un monde plus conscient de son impact au quotidien et où l’humain ne serait pas un prédateur de la nature. Un livre qui répond point par point aux urgences de notre société actuelle, avec toujours à l’appui une documentation bien fournie et des sources pertinentes.
“Futur-es”, Lauren Bastide, Allary Editions, 325 pages, 19,90 euros.