Face à l'annonce imminente de la mort d'un proche, on réagit tous différemment. Dans son court récit, Marion Ruggieri nous livre un témoignage poignant et intime de ce que signifie laisser partir quelqu'un.
Marion reçoit un SMS un soir de son amie Emmanuèle qui lui annonce qu'il lui reste "genre" une semaine à vivre. Entre désarroi et tristesse, débute le voyage de Marion dans le deuil d'une amitié.
L'écriture, entre exutoire et hommage
Dans ce récit court, dur et émouvant, Marion Ruggieri s'adresse directement à son amie Emmanuèle, utilisant tout au long du récit un "tu" qui rend le lecteur partie prenante de leur amitié. On sent à quel point la narratrice est bouleversée, elle cherche ses mots et on assiste à sa façon de se débattre avec son chagrin, pour réussir à voir une dernière fois son amie. L'écriture comme exutoire, pour trouver un moyen de survivre à la mort.
Au fil des pages et dans un aller-retour temporel constant, Marion se remémore ses souvenirs avec Emmanuèle. Leur rencontre, leurs dîners, son appartement, les livres qu'elle a écrit, son mari Serge. Et le lecteur est lui aussi happé par ces plongées mémorielles. Marion écrit pour se souvenir, pour faire vivre une dernière son amie, couchée sur papier. "Je veux écrire sans tarder, avant que ça aussi ne se délite". L'écriture comme dernier hommage, pour qu'Emmanuèle et Marion se retrouvent une dernière fois, pour qu'elles s'aident à traverser.
Ta mort, sa mort, ma mort
Le passage central du récit est réservé à la visite à l'hôpital de Marion, alors qu'elle sait que ce sera sa dernière occasion de voir Emmanuèle. Le lecteur suit la narratrice du centre de Paris jusqu'à la porte de la chambre, dans l'hôpital Bichat. Les deux amies ont une ultime conversation qui, paradoxalement, n'occupe que quelques pages. C'est que finalement, ce n'est pas un récit sur la mort d'une amie, mais plutôt sur le deuil de ceux qui restent, sur les souvenirs dont leur tête est emplie et qui sont parfois trop lourds à porter. Quand Marion pense à Emmanuèle, elle pense aussi à Serge, son mari, qui lui survivra et qui devra vivre sans elle.
Mais la mort d'Emmanuèle est aussi l'occasion pour Marion de réfléchir à sa propre mort, à l'éventualité de celle de son fils Abel, à l'inévitable auquel on ne veut pas penser. "La mort est un lien commun", une expérience qui nous ramène toujours à nous-mêmes, que l'on soit celui qui perde ou celui qui est perdu. Si Marion Ruggieri s'adresse à son amie, lui parle à travers ses mots, c'est aussi et surtout à elle-même qu'elle pale, pour trouver un moyen, tant bien que mal, de survivre à la perte et d'accepter que personne n'est éternel.
Emmanuèle - une auteure dont le nom de famille n'est jamais cité mais dont on découvre l'identité grâce aux multiples indices laissés par la narratrice - est tout à la fois origine, destinataire et prétexte pour une réflexion qui dépasse finalement le simple événement des derniers jours d'une vie.
"Donne-moi la main pour traverser", Marion Ruggieri, Editions Grasset, 96 pages, 13€