Album fait à six mains, Des vivants plonge avec égard et poésie dans l’un des premiers réseaux de résistance en 1940, celui du Musée de l’Homme. À découvrir en librairie aux Éditions 2024.
Une bd historique pour Roussin et avec des nazis qui plus est ? Le dessinateur, habitué à travailler avec des scénarios personnels, a longuement hésité avant d’accepter le projet proposé par les auteur.rice.s Meltz et Moaty. Ces dernier.e.s ont compilé les nombreux récits de ce réseau de résistance tombé dans l’oubli. S’appuyant uniquement sur les mots de ses différent.e.s protagonistes à travers lettres, témoignages, tracts, livres, il.elle.s ont créé un objet littéraire non identifié, entre texte théâtral et cinématographique. Restait à trouver le moyen d’en rendre compte. La bande dessinée s’est imposée rapidement. C’est ainsi que ces premiers actes de résistance modulés dans des vignettes affranchies de limites spatiales et temporelles (les renversantes double pages entre autre) ont retrouvé un souffle épique apte à capter l’attention des lecteur.rices. Mais, histoire de brouiller les genres et de ne pas se limiter aux quelques mots accompagnants les dessins, un ensemble de notes en annexe propose de poursuivre la lecture dans une dimension socio-historique. Coexiste ainsi dans le livre, autant les reconstitutions dessinées de Roussin, mélange entre traces photographiques et imagination propre, que les paroles de ces résistant.e.s compilées et agencées dans une visée autant mémorielle que narrative par Meltz et Moaty.
Remarquablement donc, ces événements se parcourent au présent alors même que les premiers mots lus rappellent que « l’histoire est finie ». Accueilli.e.s en ouvrant l’album par une foule de personnages - ce qui n’est pas sans rappeler les albums de Tintin -, une légère crainte peut parcourir le.la lecteur.rice à l’idée de devoir se repérer dans cette histoire aux multiples ramifications. Pourtant il suffit de tourner les pages pour être happé.e dans cet univers aux seulement quatre couleurs pantone, bien plus vives que passées. Ces quelques mois de l’été 1940 au début 1942 ont l’éclat du présent. Est-ce du fait de ce choix artistique, de la poésie des formes et des êtres qui habitent les cases, et/ou de cet autre parti pris de se passer de voix off pour ne donner à lire que des paroles au présent ? Toujours est-il que, bien qu’il soit fait régulièrement rappel de la funeste fin qu’a connu ce réseau (notons ici la très bonne trouvaille esthétique pour faire cohabiter vivant.e.s et mort.e.s), on traverse les pages avec un souffle d’éternité.
Médusé.e.s autant par les actes de ces personnes que par la puissance évocatrice des dessins de Roussin, on sort de la lecture Des vivants avec le sentiment que l’Histoire est loin d’être finie. Et tel une boucle temporelle, le livre fermé, notre présent à la teinte politique de plus en plus brune, se rappelle à nous.
crédits image : Raphaël Meltz, Louise Moaty et Simon Roussin, Éditions 2024