Justine Augier nous propose un livre à la croisée l’autobiographie et l’essai, où elle étudie le deuil après la mort de sa mère en lien avec la force de l’écriture et de la littérature.
“Un an après sa mort je la revois, me laisse envahir par son visage concerné, l’écoute me passer commande et me donner rendez-vous, comme si elle avait su que la force pourrait venir à me manquer, qu’il lui faudrait encore me soutenir et se pencher avec moi sur ce texte à écrire, qui deviendrait aussi un lieu où nous retrouver.” Peu avant d’entamer la rédaction de son livre, Justine Augier a perdu sa mère, une femme politique française de premier plan qu’elle ne nomme jamais mais à propos de laquelle elle laisse beaucoup d’indces nous permettant de l’identifier. Ce livre est notamment l’occasion pour elle de reparcourir les derniers mois de vie de sa mère, atteinte d’un cancer et enfermée à l’hôpital en période de Covid.
Lire, écrire et mourir
L’autrice retrouve sa mère tout au long du livre : elle se remémore les mots partagés, les livres qui passent de main en main, alors que la littérature a occupé une place importante dans sa vie, aux côtés de la politique. Dans un moment de tristesse, la lecture est pour Justine Augier un lieu dans lequel se réfugier et “faire” son deuil, de façon en quelque sorte active grâce à la performativité des mots.
“La littérature redonne au temps sa texture, l’épaissit, convoque les fantômes, ceux d’avant et ceux qui viennent, et cette conversation à laquelle toujours elle nous fait revenir demeure pleine d’espoir.”
Grâce à la littérature - que ce soient lecture ou écriture -, l’autrice prouve notre besoin d’ouverture, une ouverture aux autres mais aussi une ouverture à soi-même, qu’elle met en opposition avec les derniers mois d’enfermement vécus par sa mère : un enfermement dans un corps affaibli par la maladie en même temps qu’un enfermement dans sa chambre d’hôpital. Elle le met également en parallèle avec la fermeture d’esprit d’un certain milieu bourgeois duquel elle est issue et dont elle a toujours souhaité sortir, et même plus généralement, de la pensée occidentale qui peine à saisir ce qui se joue au Moyen-Orient dans les révolutions et les résistances - un autre de ses sujets d’étude.
Compagnonnage des auteur.rices
“La littérature donne à voir l’obscurité, repère et recueille les rêves défaits, ouvrant la voie à la danse malgré tout, et à la possibilité d’une communauté.” Pour Justine Augier, les mots sont essentiels et le choix de certains mots pour décrire le réel devient action. Toute écriture est politique et la langue permet de résister, à l’image de la résistante syrienne Razan Zaitouneh que l’autrice a étudié et traduit. La force des écrits de cette femme emprisonnée puis assassinée par le régime contre lequel elle luttait l’accompagne au même titre que de nombreux.ses autres auteur.rices qu’elle a croisé au cours de ses lectures - écrivain.es et philosophes.
Force typographique de ce roman qui pousse l’inclusivité et l’inspiration jusque dans la forme : les nombreuses citations tirées d’autres ouvrages n’ont pas de guillemets mais sont simplement inscrits en italique. Ecriture et lecture se nourrissent donc pour l’autrice et cette absence de séparation n’en rend la lecture que plus agréable. Et cette forme fournit une bibliographie si diverse à la fin du livre qu’on a envie de s’y jeter.
“Le silence auquel éduque la lecture est poésie. Il est aussi politique, source d’une langue imprégnée d’écoute et d’altérité, d’une langue qui fait vibrer des expériences anciennes, n’enferme ni ne condamne, fait surgir au lieu d’éloigner, réveille au lieu d’endormir, rattache au lieu d’isoler, redonne confiance et prépare à l’engagement, une langue attentive mais armée.”
Justine Augier illustre avec ce livre intime l’aspect politique de la littérature qui la rapproche, dans son engagement, de sa mère. Elle nous appelle à l’ouverture et à la résistance, ne serait-ce qu’à travers la littérature, mais également à aller chercher du réconfort chez les autres auteur.rices, à se remplir de leurs mots pour survivre au deuil.
"Croire. Sur les pouvoirs de la littérature", Justine Augier, Editions Actes Sud, 144 pages, 18€