Parenthèse dans une vie, Chicago raconte l'amitié fusionnelle de Ramona, Jonathan et Suzanne, trois personnes qui n'avaient rien pour s'entendre mais qui passeront une année à s'aimer.
Ramona enseignera le français pour un an à l'Université de Chicago. Elle est ravie de découvrir une nouvelle ville dans laquelle elle ne connaît personne. Curieuse et avide de découvertes, elle se rend à des concerts et des événements, au cours desquels elle croise souvent le même jeune homme : timide mais absorbée par la musique, elle est fascinée par lui. Quand elle finit finalement à lui adresser la parole, alors que par pur hasard, ils se retrouvent à la même soirée étudiante, elle se renferme et ne poursuit pas l'échange. Il faudra que le hasard les mettent à nouveau dans la même pièce pour que Jonathan fasse à son tour un pas vers Ramona et lui présente sa nouvelle amie, Suzanne. Chicago nous raconte l'amitié, courte mais intense, de cette prof de français, ce garagiste et cette esthéticienne.
Une parenthèse de vie
Ils se retrouvent tous les samedis, pour faire la fête ensemble, et parcourir les rues de Chicago, cette ville aux grands espaces, entourée de lacs, qui semble exercer un charme sur Ramona. La semaine ne passe que lentement alors qu'elle ne peut s'empêcher de penser à ses deux compagnons, qu'elle les imagine se voyant sans elle pendant la semaine. Leur amitié ne fonctionne qu'à trois, et cet équilibre précaire est ce qui rend leur relation ensorcelante. "Tous les trois attendent de se revoir, le samedi suivant ; et le souvenir des deux autres, la semaine, ressemble au printemps logé secrètement dans l'hiver."
Marion Richez ne nous donne que peu d'informations sur chacun des composantes de ce trio inattendu, et c'est aussi ce mystère qui règne sur leur relation. Ils ne savent que peu les uns sur les autres, mais ne cherchent véritablement jamais à en apprendre plus, peut-être de peur que le sort soit rompu ? Ramona, l'intellectuelle, ne peut comprendre la relation que les deux autres ont avec leur emploi, et est fascinée par l'aspect manuel de leur activité. Et dès que l'un ou l'autre fait une entrée un peu trop pressante dans l'intimité de ceux qui l'entoure, tout l'équilibre est mis en danger. "Chaque jour ils sont comme des funambules sur des fils d'or, qui font trembler à chaque faux pas leur amour." En tournant les pages, on ne peut que se demander si tout va exploser ou s'ils continueront à s'aimer ainsi, si loin mais si proche en même temps.
Etre à trois
Dans son court roman, Marion Richez nous fait parfaitement ressentir le moment qui passe dans nos vies : tous savaient en se rapprochant, que leur amitié ne pourrait durer plus d'un an, et c'est aussi certainement pour cela qu'ils s'aiment. Les différences de classe sociale entre les trois amis ont leur importance dans la relation et dans le roman, et on apprécie les réflexions sur l'accès à la culture, notamment dans le cas de Jonathan et son rapport à la musique. "C'est peut-être pourquoi il aimait tant les spectacles, qu'il s'offrait sans compter. Non par désir de se bâtir une culture, afin que les éléments éclatés du monde retrouvent leur ramification secrète ; ni même par goût de connaître, de voir se creuser le gouffre de ce qu'on ignore à mesure qu'on sait. Encore moins pour briller en société, pour acquérir ce pouvoir qui concurrencerait presque la petite naissance. Non : c'était pour vibrer. Les oeuvres d'art donnaient forme à ce qu'il savait vivre en lui, sans pouvoir encore le nommer, et cela lui permettait, le lendemain, les jours suivants et le restant de sa vie, d'éprouver plus finement encore." On peut seulement regretter que ces réflexions ne soient pas plus poussées pour les autres personnages, mais on comprend que le charme du roman se situe aussi dans la tranche de vie que constitue une année à l'étranger.
Malgré un style parfois un peu poussif, Marion Richez nous offre un beau roman qui interroge nos amitiés et nos rapports aux histoires personnelles qui nous entourent.

"Chicago", Marion Richez, Editions Sabine Wespieser, 136 pages, 15€