Dans ce premier roman, Marie-Virginie Dru signe une magnifique histoire de résilience, et fait vibrer, sous sa plume, tout le continent africain.
Aya, douze ans, vit sur la petite île de Karabane. Son prénom signifie jeudi, en wolof, c’est le jour où elle a poussé son premier cri. Au Sénégal, tout porte à croire qu’on est au paradis. Cette terre, ces couleurs vibrantes, ces origines qui s’écoulent. La belle vie. A douze ans, Aya mène une vie tranquille, elle vagabonde, pense à Ousmane son amoureux « pour la vie », va de pâturages en pâturages et garde les chèvres de son voisin. Mais à cet âge-là, elle a déjà beaucoup de soucis. L’ombre de cette vie, c’est son oncle. Celui qui l’a viole, qui lui fait croire que c’est de sa faute. Alors, elle prie la Vierge Marie, essaye de se faire pardonner. Mais lorsqu’elle se retrouve enceinte, elle est obligée de fuir et trouve refuge à Dakar, au sein de la Maison Rose, un foyer qui vient en aide aux jeunes filles comme elle et qui les aide à aller de l’avant. « Elle se bouche les oreilles, ne veut plus rien entendre. On lui donne des mensonges. Elle se met en boule, pour rouler hors de ces mots. Elle ne peut pas : « Enceinte, c’est pour les grandes. Il a dû dire sainte, peut-être parce que j’ai trop prié. J’ai trop mal pour comprendre, j’ai mal au ventre, j’ai mal ».»
Son frère, quant à lui est parti pour l’Europe, pour qu’on soit fiers de lui. Mais il est devenu un migrant, vivant à la station Stalingrad, avec un numéro d’immatriculation. Sous le regard des passants, il oublie son pays, son nom, sa famille. Honteux, il n’a plus d’espérance de les revoir, ni le rêve de les faire venir. « Depuis qu’il est dans ce pays dont il a tant rêvé, il est devenu transparent, on ne le regarde plus, ou de travers. Ses frères d’Afrique ont laissé leurs yeux chez eux, avec leurs souvenirs ».
Rêves et espérance
Marie-Virginie Dru signe un bel hommage à ces femmes meurtries, qui avec énergie et volonté, trouvent le moyen de se reconstruire et de se réinventer. A travers ce beau portrait d’une jeune adolescente, devenue mère alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, elle nous raconte avec empathie l’histoire terrible de ces filles qui doivent fuir et sont recueillies par une association. « Je me demande encore aujourd’hui si la vie doit avoir un sens pour être vécue. J’ai tellement de livres, ils m’ont appris qu’il n’y a pas de passion sans lutte. Et c’est ça que je ne veux pas oublier, les conséquences sur les vies à venir, c’est à ça que je me cramponne ». Dans un récit faisant écho à la réalité contemporaine, avec en fond la crise des migrants et l’avenir des pays africains, elle évoque la condition des femmes, encore trop souvent victimes du poids des traditions.
Court et intense, ce roman offre aussi un hommage touchant au travail de la Maison Rose, association qui existe réellement au Sénégal, qui a été fondée par une française, Mona Chasserio. Dans cette institution, porteuse d’espoir, les femmes – victimes de viol, d’inceste, de maltraitance, en souffrance psychologique – réapprennent à vivre, à soigner leurs blessures mais surtout à retrouver une dignité.
« Aya », Marie-Virginie Dru, Editions Albin Michel, 224 pages, 18 euros