Chroniqueuse chez France Culture et auteure de Trois fois la fin du monde (2018), Sophie Divry nous propose cette année un nouvel ouvrage en symbiose avec l’actualité spatiale : Curiosity. Un roman court où Curiosity, le rover établi sur Mars avant Perseverance, nous raconte son quotidien. Mars, comme vous ne l’avez jamais vue !
Curiosity a une mission : explorer la planète Mars et effectuer des recherches géologiques. Du cratère Gale au Mont Sharp, Curiosity suit les ordres de Dieu - l’homme, son créateur - sans broncher. Il se questionne, mais ne va jamais à l’encontre de Ses indications ou de Sa volonté. Dans ce journal de bord qui prend peu à peu des airs de testament, Curiosity lègue aux futurs rovers le fruit de ses recherches et ses révélations sur Mars, loin de la vision idyllique promue par les manuels.
Touchdown confirmed !
Curiosity s’attendait à tout sauf à ça : de la poussière, de la solitude et des cailloux pointus. La planète qu’on lui a présentée comme Mars ne ressemble en rien à ce qu’il découvre une fois atterri dans le cratère de Gale. Déception. « Il faut arrêter de vous raconter des histoires. Il faut vous dire la vérité. Mars, ce n’est pas excitant ; Mars, ce n’est pas bienveillant ; Mars, ce n’est pas great du tout ! C’est la planète la plus ennuyeuse du Système solaire. »
Curiosity est un rover social, méticuleux et soucieux des ordres de Dieu, mais il ne supporte pas l’absence d’interaction. La solitude le fait terriblement souffrir et l’angoisse. Il communique brièvement avec quelques satellites, mais la conversation tourne toujours court et au fur et à mesure de sa mission, les échanges avec Dieu se font de plus en plus rares. Seul, sur le Mont Sharp, le rover réfléchit et se questionne. Pourquoi Dieu n’est-il pas avec lui sur Mars ? Pourquoi n’y avait-il pas d’autres rovers et une base scientifique pour l’accueillir ce 6 août 2012 ? Pourquoi a-t-il été envoyé ici et pas ailleurs ?
Le spleen et la folie de l’explorateur
L’excitation de la découverte de chlorobenzène passée, Curiosity s’ennuie sur Mars. Il veut rentrer sur Terre, parler avec Dieu, mais là n’est pas sa mission. Il le sait. Il est condamné à rester sur Mars jusqu’à ce que Dieu l’oublie et envoie d’autres rovers continuer son travail d’exploration. Il a le mal de Mars, se lasse du même paysage jaune et orange, de cette poussière et de ce vent qui l’insupportent. Tout sur Mars l’agace et le plonge au fil des jours dans un état mélancolique.
Ses missions sont rébarbatives, il ne fait plus de grandes découvertes, le temps est long. Il déraille, remet en question son créateur, l’imagine semblable à lui mais en plus grand, avec trois antennes. Il s’interroge à nouveau. Pourquoi ne peut-il pas parler directement à Dieu avant de mourir ? Pourquoi cet abandon ? A quoi rime cette mission ? Pourquoi est-il seul sur ce gros caillou rouge ? La folie guette Curiosity et ce journal de bord est pour lui le seul moyen de ne pas y céder. De garder une sorte de lien social imaginaire, de combler sa solitude et de donner un sens à sa vie de rover. « J’ai fini par vous écrire pour ne pas devenir fou. Oui, cela s’est passé ainsi, j’ai commencé à vous écrire plutôt que de perdre la raison face au silence de Dieu. [...] Ce n’est pas facile d’être la seule intelligence artificielle sur toute une planète. J’ai voulu me croire supérieur mais je me sens si limité. »
Curiosity est un roman intéressant par sa façon de questionner Dieu, ici l’Humain. En effet, on peut établir un parallèle entre notre relation à Dieu, quelle que soit notre religion, croyant et non croyant, avec celle du rover Curiosity et de son Dieu. Au-delà de cet aspect sensible, Curiosity possède des passages assez légers et fluides. On a l’impression d’être avec un vieil ami qui revient de vacances et nous raconte ses mésaventures. Un Wall-E des temps modernes !
« Curiosity », Sophie Divry, Les éditions noir sur blanc, Notabilia, 112 pages, 14 euros.