C’est une re-découverte de Paris, de ses rues et de ces visages qui la peuplent, que propose Hubert Haddad dans son dernier roman. Une ville brisée par des attentats, parcourue par une femme qui ne dansera plus jamais.
Damya, jeune danseuse qui a perdu son genou alors qu’elle attendait son rendez-vous sur une terrasse le soir du 13 novembre 2015, traverse Paris à pied chaque jour, à la recherche des visages parfaits : ces « faces d’os » qui pourront jouer les figurants dans un tournage qui met en scène le retour de déportés des camps nazis à la libération de Paris.
Un Paris sauvage
Les déambulations de la jeune femme dans la capitale sont l’occasion de rencontres et d’observations, narrées à la perfection par la prose imagée d’Hubert Haddad. Les jeux des enfants deviennent ceux d’oiseaux, les foules qui se bousculent se transforment en bateaux, portés par les vagues. On ne peut qu’admirer les longues phrases de l’auteur, ponctuées de façon à rendre vivants les respirations, le rythme et les interrogations de Damya dans sa course effrénée. On comprend qu’il lui est nécessaire de traverser la ville de long en large, qu’elle ne peut s’arrêter, au risque de revivre une fois de plus cette nuit qui a tout changé. Elle ne dansera plus jamais, elle ne reverra jamais l’homme qu’elle devait retrouver à la terrasse d’un bar rue de Charonne, elle n’oubliera jamais ce soir-là.
C’est un hommage poignant aux rescapés des attentats qui ont endeuillé Paris que Casting sauvage rend. On y voit, en filigrane et toujours avec beaucoup de respect, l’impact considérable qu’ils ont eu sur la vie de tous. En plus de changer la vie de Damya, les événements du 13 novembre ont aussi modifié sa perception de la ville, de l’espace et de la façon dont les Parisiens se l’approprient, ce qui la pousse à dire que « Paris regorgeait d’exilés que personne n’attendait nulle part ». Damya s’y sent à la fois à l’étroit car chaque endroit lui rappelle un souvenir douloureux, mais aussi complètement perdue dans la foule de visages anonymes.
Un Paris endeuillé
L’importance de la quête de Damya pour sa vie et sa reconstruction personnelle se ressent aussi dans l’intrigue : le tournage pour lequel elle doit trouver une centaine de figurants permet un parallèle avec le Paris de 1945, alors que la ville est libérée et que les déportés reviennent des camps. Damya s’identifie à l’horreur à laquelle elle doit donner un visage, elle souffre à côté de ceux qui ont vécu l’indicible. Et sa recherche de visages maigres et émaciés dans les rues de Paris n’est peut-être autre qu’un prétexte pour s’adonner à une recherche plus personnelle : celle de l’homme qu’elle devait retrouver ce soir-là, dont elle ne connaît pas le nom mais dont elle reconnaîtrait les traits entre tous...
Le récit, parfaitement rythmé et à la prose finement travaillée, laisse une impression de malaise mais à la fois aussi d’espoir : la fin, sans que ce soit un happy end, laisse entrevoir une vie nouvelle après ces événements tragiques, une vie qu’on n’avait pas imaginée mais qu’on pourrait accepter. Un « casting sauvage », n’est-ce pas une façon de ré-humaniser le monde ? Quand les agences ne trouvent pas de figurants, on fait appel à quelqu’un qui saura voir à travers la foule les visages qui se bousculent... Après tout, « Paris est assez vaste pour accueillir tous les déportés du monde », et c’est à Damya qu’on a confié la mission de les rassembler.
"Casting sauvage", Hubert Haddad, Editions Zulma, 160 pages, 16,50€