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[Gazette littéraire] Les pépites du trimestre #2

23 juillet 2024, par Untitled Magazine

Pour maintenir la tête hors de l'eau des sorties de livres qui s'enchaînent, Untitled Magazine a rassemblé ses meilleurs éléments pour tenter de trouver les pépites littéraires publiées au cours des trois derniers mois. Attention, sélection non exhaustive mais excellente !

Toxiques, Suzanne Privat

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Constance est photographe scientifique et pendant une semaine chaque mois, elle s’installe le long du chemin de fer avec ses deux chats et photographie les traces laissées par le temps à Miramas. Alors qu’elle se rend sur un lieu qu’elle doit photographier, elle tombe nez à nez avec un mur empli de graffiti. L’un d’eux attire son regard : “Lovana on t’a pas oubliée”.

C’est le début d’une forme d’enquête pour le personnage de Suzanne Privat, cette journaliste dont on avait tellement aimé le premier roman sur une secte du 20e arrondissement parisien. Constance va alors remonter les traces de cette Lovana, une jeune fille harcelée dans les années 2010 pour avoir publié une vidéo où elle rappait et qui avait déchaîné des torrents de haine. A une époque où le cyberharcèlement n’était pas encore connu comme tel, l’adolescente avait reçu moqueries, menaces de mort et de viol, d’une violence inouïe.

De cette plume si spéciale mêlant enquête et réflexions autour des plateformes numériques, Suzanne Privat nous entraîne dans le vortex vécu par Lovana et par tant d’autres après elle, tout en émaillant son récit de descriptions riches de Miramas et de ses environs.

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"Toxiques", Suzanne Privat, Editions Les Avrils, 208 pages, 20€

Une fille du sud, Juliette Granier

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1980, Catalina Magne, huit ans, vit au sein d’un domaine vinicole du sud de la France. Dans sa famille, la grand-mère dirige, la mère s’incline et s’exécute, Catalina quant à elle, observe et retient. Depuis toujours, sa grand-mère n’a d’yeux que pour Ferran, lointain cousin qu’elle imagine déjà reprendre la gestion de l’exploitation. Chasseur, macho, sûr de lui, il est marié à Olivia Pons, une beauté sans nom. A travers eux, Catalina découvre le monde, le pouvoir, les relations amoureuses tout en composant avec la transmission, le patrimoine. Jusqu’au jour où une affaire de moeurs vient chambouler tout leur quotidien.

Dans ce premier roman pensé tel une saga familiale, Juliette Granier raconte comment une jeune fille des années 80 décide de se saisir de son propre destin entravé par les désisions castratrices de sa grand-mère. Au fil des pages, son héroïne se révolte et refuse ce rôle de femme dévouée et silenceuse. A travers ce personnage, la romancière donne la parole aux femmes, celles désireuses de se libérer des injonctions de la société et déterminées à construire leur vie future comme elles l’entendent.

Un très beau roman d’apprentissage qui sent bon le sud et le pays catalan !

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"Une fille du sud", Juliette Granier, Editions Gallimard, 192 pages, 19€

Hot Milk, Deborah Levy

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Sofia et sa mère, Rose, partent en Espagne pour soigner les problèmes de santé de cette mère dont elle est devenue l'assistante de vie à 25 ans. Leur relation n'est pas la plus simple, la vie personnelle de la jeune Sofia n'est pas non plus au beau fixe, est-ce que ces vacances imposées pourront leur faire du bien ? 

Deborah Levy met en action une galerie de personnages dans la chaleur étouffante de l'été espagnol. Sofia tente de vivre sa jeunesse en rencontrant les locaux mais bien loin des clichés d'un été adolescent en bord de mer. Il y a l'ombre de cette mère dont elle doit s'occuper avec ses problèmes de santé, le docteur de cette clinique privé qui doit les aider à trouver la raison des maux de Rose mais qui ressemble plutot à un charlatan. Sofia fait la rencontre d'Ingrid, une Allemande qui semble vouloir devenir amie et plus si affinité avec elle mais qui lui souffle un temps le chaud, un temps le froid. 

Ce roman se lit comme un roman d'été, il ne s'y passe pas grand chose, on ressent la lourde chaleur qui semble étouffer les personnages et leurs sentiments. Avec Deborah Levy, on suit la jeune Sofia et ses états d'âme, elle cherche sa place auprès de sa mère, auprès de la société qui vit plus vite qu'elle. C'est aussi un roman sur la quête d'identité de la jeune femme. 

"Hot Milk", Deborah Levy, traduit par Céline Leroy, Editions du Sous-Sol, 320 pages, 22,50€

La femme aux mains qui parlent, Louise Mey

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Dans ce magnifique court texte qui fait partie de la collection Nouvelles Lunes, une collection qui met en avant les contes et les fables, Louise Mey nous emmène au contact de deux soeurs qui ont perdu leurs parents. L’une des deux, sourde, muette et aveugle, vit désormais seule dans leur maison d’enfance et ne peut s’exprimer qu’à travers des signes dessinés dans les paumes des mains.

Cette jeune fille a donc établi un rapport unique à l’environnement qui l’entoure, et notamment à la forêt proche de laquelle elle habite. Grâce à d’habiles subterfuges, elle passe d’intenses moments au milieu de la nature, reliée à elle de façon spéciale. Et tout particulièrement aux côtés de ceux qu’elle appelle “les chiens du dehors” mais qu’on suppose être des loups, qui semblent l’accepter et voir en elle l’une des leurs.

D’une plume douce et fantasmagorique, Louise Mey nous fait partager le quotidien de cette jeune fille, l’amour et la tendresse qu’elle partage avec sa soeur, mais aussi les risques qui pèsent sur elle, notamment quand deux hommes voisins commencent à s’intéresser à elle. Magnifique fable où l’on peut voir sans hésiter les dangers que peuvent constituer les hommes pour les femmes, La femme aux mains qui parlent laisse une empreinte indélébile.

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"La femme aux mains qui parlent", Louise Mey, Nouvelles Lunes/Au Diable Vauvert, 80 pages, 12€

L'imposture, Zadie Smith

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Le procès Tichborne démarre en 1871 et est le plus long plaidé devant une cour anglaise, mais également un des plus célèbres de l’ère victorienne. C’est à travers les yeux d’Eliza Touchet, cousine par alliance, gouvernante, amante de l’écriain William Ainsworth, ami de Charles Dickens, que le lecteur va suivre le procès. Un procès dont le public se passionne et qui traite des questions de classe, d’argent, de faux et de mensonges. A ses côtés, Sarah, la domestique et future femme de Ainsworth se prend d’affection pour l’accusé, ou du moins pour ce qu’il prétend être. L’imposture semble flagrante, pourtant le procès s’éternise et fait parler toute la société anglaise.

Britannique de mère jamaïcaine, Zadie Smith se lance pour la première fois dans le roman historique. Pour garder son lecteur en haleine, la romancière compose son ouvrage de récits très brefs, joue sur les temporalités et crée un véritable jeu entre fiction et réalité. A travers son personnage, elle nous transporte dans la société victorienne où ces victoriens donneurs de leçons sont en réalité plus débridés qu’on ne le croit. 

L’écrivaine signe un roman plaisant fait de tromperies, faux-semblants et manipulations dans une Angleterre qui se fonde sur l’esclavage en Jamaïque.

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"L'imposture", Zadie Smith, traduit de l'anglais par Laetitia Devaux, Editions Gallimard, 546 pages, 24,50€ 

Le Refuge, Alain Beaulieu

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Antoine et Marie, universitaire et auteur à la retraite, ont décidé de vendre tous leurs biens pour venir s'installer dans une cabane au milieu des bois au Québec. Alors qu'ils vivent plus ou moins en ermites, un drame va venir déranger leur retraite paisible lorsqu'ils se font braquer une nuit. 

Au-delà de l'intrigue, tout se joue dans la narration du roman, qui alterne le point de vue d'Antoine puis celui de Marie. Ils reviennent à tour de rôle sur cet événement marquant qui change totalement le cours de leur vie. Isolés dans ces bois, ils ressassent chacun leur tour ce braquage et ses conséquences. On suit le flot de leur pensée et de leur action dans ce court roman. 

Ce roman a les attraits d'un roman policier mais aussi d'un roman d'introspection. Que faire lorsque la vie rêvée se transforme en cauchemar ? On suit la trajectoire de ce couple à travers leurs pensées sur cet événement et en même leurs actions car face à celui-ci, ils tentent d'arranger et changer les choses. 

Un court roman qui nous tient en haleine.

"Le Refuge", Alain Beaulieu, Editions Liana Levi, 240 pages, 20€

Jours de sang, Sue Rainsford

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Il ne reste plus grand chose de ce qu’était la communauté avant que tout le monde s’en aille. Laissant sur place les jumeaux, Anna et Adam, ainsi que Koan, le chef de cette communauté, qui ne cessent pourtant leur vie et les habitudes de la communauté : des rituels pour éloigner le rouge, s’en prémunir et se sauver.

Dans une dystopie qui oscille entre réflexions sur l’effondrement et sur l’emprise sectaire, Sue Rainsford nous plonge dans le quotidien de ces jumeaux, abandonnés par leur mère et par leur entourage, qui tentent de contenir la fuite en avant en respectant ce qu’on leur a appris. A travers un roman polyphonique, l’autrice révèle au fur et à mesure des indices sur ce qui a conduit à la création de cette communauté, à la prise de contrôle de Koan sur les autres, mais aussi au départ des différents membres. Et quand l’un d’eux met à nouveau les pieds dans cette partie de la forêt où Adam vit le jour et Anna la nuit, les jumeaux sont bien forcés de faire face à une forme de réalité que leurs rituels leur permettaient d’omettre.

Jours de sang est un récit perturbant, peuplé de personnages fascinants, et notamment de femmes qui résistent, de tout le corps et de tout ce qu’elles ont, aux normes qu’on tente de leur imposer - Anna se libère en lisant les carnets alors que sa mère semble ne jamais avoir totalement accepté de se plier aux exigences de Koan. Une dystopie perturbante où le rouge menstruel prend une autre teinte…

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"Jours de sang", Sue Rainsford, traduit par Francis Guévremont, Editions Aux forges de Vulcain, 368 pages, 21€

Du pain sur la table de l'oncle Milad, Mohammed Alnaas

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“Ne mélange pas directement la levure et le sel”. Voici le conseil que reçoit Milad, de la part de son père, maître-boulanger, lorsqu’il décide qu’il est temps de partager aves son fils les ficelles de son métier. Une fabrication du pain, apprise par un boulanger italien resté à Tripoli après l’indépendance de la Libye. Et en même temps qu’il lui transmet le secret de ses recettes fétiches, il lui apprend aussi à être un homme et un mari. Mais hélas à la mort de ce dernier, son oncle récupère la boulangerie familiale. Ne supportant ni les insultes ni les incompétences du nouveau patron, il décide de rendre son tablier et met son talent au service de ses proches. Sa femme, quant à elle, travaille pour un groupe de presse étatique où son ambition se heurte aux magouilles et préjugés de ses employeurs.

Ce premier roman, pour lequel l’auteur libyen Mohammed Alnaas a reçu le prix international de la fiction arabe, met en avant les contraintes que la société libyenne, très conservatrice, impose aux hommes et aux femmes. Le personnage de Milad est quant à lui plein de contraditions : d’un côté, il est fier de sa part de féminité mais de l’autre, il n’hésite pas à écouter les conseils de son cousin Absi - vrai mâle dominant - qui lui explique à coup de belles phrases comment se comporter en homme. Grâce à des allers-retours entre présent et passé, l’auteur tient le lecteur en haleine et laisse son héros entrer dans un beau monologue qui nous transporte dans la Libye de Kadhafi.

Un excellent premier roman qui raconte l’histoire tragique  d’un homme qui ne l’est pas assez aux yeux de la société. 

Critique rédigée par Marie Heckenbenner

"Du pain sur la table de l'oncle Milad", Mohammed Alnaas, traduit de l'arabe par Sarah Rolfo, 366 pages, 23€

Un fantôme dans la gorge, Doireann Ní Ghríofa

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La narratrice de ce roman est une jeune mère au foyer irlandaise comme tant d'autres. Elle occupe ses journées entre ses enfants et les tâches domestiques qui lui incombent par ce rôle. Elle qui se dévoue à son rôle de mère de 4 enfants et d'épouse, elle semble se satisfaire de cela, elle raye avec satisfaction chaque jour les tâches de sa liste. Et pourtant, elle vit avec l'écho d'une poétesse irlandaise qui l'obsède depuis ses jeunes années. A côté de son rôle de mère et d'épouse, elle étudie le Caoineadh de Eibhlin Dubh Ni Chonaill, un poème irlandais du 18ème siècle très connu. Ce fantôme dans la gorge dont parle le titre, c'est le fantôme de cette femme et de sa vie. 

Dans ce roman, on alterne entre des fragments de vie de la narratrice, de son quotidien avec ses enfants et son mari qui, lui, trouve que peut-être cela suffit 4 enfants, et les fragments de vie de cette poétesse irlandaise, Eibhlin Dubh Ni Chonaill. La narratrice tente de retrouver la trace de celle-ci, en cherchant dans des livres, dans des écrits, dans des biographies de cette femme. 

C'est un roman sur la vie de deux femmes que tout oppose, autant dans leurs époques respectives que dans leur mode de vie, et pourtant l'une vit grâce à l'autre qui la fait sortir de son quotidien au jour le jour. C'est un roman sur la voix des femmes aussi, sur les choix qu'on prend et qui nous mènent sur des voies différentes, qu'on accepte ou qu'on rejette. 

Un long roman sur deux parcours de femmes. 

"Un fantôme dans la gorge", Doireann Ní Ghríofa, traduit de l'anglais par Elisabeth Peellaert, Editions Globe, 368 pages, 23€

Lire Lolita à Téhéran, Azar Nafisi

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Azar Nafisi nous ramène en 1979 alors que l’Iran fait sa révolution, devient la République islamique et glisse vers la dictature. Cette professeure de littérature anglo-saxonne vient de rentrer des Etats-Unis et est impatiente d’enseigner les auteur.rices qu’elle adore à ses étudiant.es : Jane Austen, Vladimir Nabokov, Henry James et Francis Scott Fitzgerald. Mais le régime rend la tâche de plus en plus compliquée pour cette femme qui refuse de porter le voile.

Au cours de quatre parties, dédiées à quatre des oeuvres de ces auteur.rices essentiels du catalogue “occidental”, Azar Nafisi raconte l’histoire du basculement de l’Iran, mais aussi son histoire personnelle et les liens avec des étudiant.es qu’elle anonymise pour les protéger. Entre récit autobiographique et critique littéraire, Lire Lolita à Téhéran est émouvant et enrichissant : on s’attache à ces étudiantes qui bravent les interdits pour venir aux séminaires de Mme Nafisi, on apprend sur ces belles oeuvres et on grandit au contact de la théorie littéraire qui ressort de leurs conversations.

Cette mise en abime littéraire permet à Azar Nafisi de montrer la descente aux enfers des femmes dans un régime qui les enferme et les écarte au fur et à mesure d’un grand nombre de professions, dont l’enseignement, à l’image de sa démission de l’université. Elle fait le lien entre la société dans laquelle l’autrice et ses étudiantes vivent et celles qui sont décrites dans les livres, notamment en ce qui concerne la violence et les interdits. La littérature devient résistance pour ces femmes et témoignage d’espoir dans un Iran voilé.

Critique rédigée par Mathilde Ciulla

"Lire Lolita à Téhéran", Azar Nafisi, traduit de l'anglais par Marie-Hélène Dumas, Editions Zulma, 432 pages, 21,50€

Vivre pour les caméras, Constance Vilanova

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Constance Vilanova est journaliste. Dans cet essai, elle retrace les premiers pas de la téléréalité en France. Elle décortique dans ce livre comment celle-ci s'est formé sur nos écrans et ce que cela a produit dans le champ audiovisuel contemporain. Elle y parle des programmes fondateurs comme Love Story ou encore Secret Story, mais aussi de ceux plus actuels comme Frenchie Shore. L'angle d'étude que prend la journaliste, c'est de partir de sa propre histoire avec la téléréalité : elle mêle son enquête avec quelques bribes de son expérience avec la téléréalité. 

Dans cet essai, elle analyse aussi des parcours de femmes : celui de Loana, de Aurélie Preston ou encore de Jessica Thivenin pour ne citer que des grandes figures de ces programmes. Elle explique ce que cela donne comme regard sur des jeunes femmes, sur leurs corps, sur les relations amoureuses et aussi sur les carrières qui vont découler de leurs aventures. Quel point de vue a la société sur ces femmes ? Qu'est-ce que l'on cautionne lorsque l'on consomme ces programmes ? 

C'est aussi une étude sur les catégories sociales des personnalités de la téléréalite qu'elle réalise dans ce livre. Issus pour la plupart de milieu populaire, elle met en avant que c'est aussi un moyen pour eux de s'en sortir. Au-delà des candidats, elle parle aussi de ceux qui la regardent et la fustigent. 

Un essai réussi et passionant sur la téléréalité.

"Vivre pour les caméras", Constance Vilanova, Editions JC Lattès, 224 pages, 20€




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