Deuxième roman de l’écrivaine et vigneronne Lolita Sene, Seules les vignes plonge pendant une année dans les tourments de la production viticole. En librairie.
Comment raconter autrement la vigne et son travail que par le biais des saisons ? Au plop du bouchon, c’est bien toute une année de labeur qui s’écoule dans le verre, avec ses angoisses, ses intempéries, ses joies, ses erreurs, ses réussites : « Tout ce qui compte maintenant à ses yeux, c’est de goûter ses vins, ce travail qu’il construit depuis la taille, voire l’automne dernier, voire depuis la plantation. » D’une écriture aussi limpide que le millésime et son jus peuvent être trouble, Lolita Sene nous entraine au plus près de la relation intime qui se noue entre le vignerons et ses vignes. Dans Seules les vignes, ce sont deux vignerons au parcours divers mais évoluant sur le même terroir que l’on découvre pris dans une relation quasi symbiotique avec vitis vinifera. Aussi vital qu’instinctif, ce lien que tisse la liane ordonne les vies qui l’environnent : « C’est la loi du plus fort, la loi animale, la loi végétale, celle qu’on ne voit plus, qu’on néglige et qui nous dépasse. » On souffre alors pour leur femme et enfants cohabitant.e.s avec des êtres taciturnes, jamais vraiment là, aspirés qu’ils sont dans la hantise du lendemain - qu’elle soit climatique, financière ou psychologique. Paradoxalement, la vigne, elle, s’enracine toujours plus profondément dans un présent flirtant avec le passé : « Vous qui passez, qui croyez tout comprendre, qui croyez à l’importance du groupe, que savez-vous de ce que je désire ? Que savez-vous de nous, le vivant ? ». Révélateur des tourments existentiels des êtres humains, bien plus qu’elle en est la source, la culture de la vigne met à jour dans ce livre, l’incommunicabilité masculine, la peur du jugement, l’angoisse de l’impermanence face à ce qui dure. À l’opposé d’une image d'Epinal pétrie d’une perpétuelle ivresse de l’instant, Seules les vignes nous convie dans l’exigeante collaboration avec le vivant. Derrière la noirceur appuyée du propos, c’est à une attention consciente envers les productions agricoles qu’invite ce roman.
« Seules les vignes », Lolita Sene, Le Cherche Midi, 2025, 128 pages, 16,5 euros