Dans son premier roman, Jakob Guanzon raconte l'histoire d'un père et d'un fils traversant l'Amérique à bord d'un pick-up, errant de ville en ville, de job en job. Ce récit, c'est celui des laissés pour compte des Etats-Unis, des nomades qui survivent comme ils peuvent dans un pays violent et où les inégalités sont flagrantes.
Henry et son fils, Junior, vivent dans un pick-up. Ils ont peu d'argent, ils volent, ils se lavent où ils peuvent, dorment dans des motels ou sur des parkings. Henry, malgré tout, essaye de rendre la vie de son fils aussi joyeuse que possible, à travers les épreuves et les kilomètres qu'ils avalent avec leur véhicule.
Chaque chapitre est nommé par la somme qu'ils ont en poche, ces dollars qui vont et qui viennent. Au milieu de tout ça, il y a l'histoire tragique d'Henry, de la mère de Junior, Michelle, des violences conjugales, de la drogue et des populations marginalisées.
Une histoire de dollars
Accrochés au moindre dollar, les deux vivent au gré du vent et de ce qu'ils peuvent monnayer. Henry vit dans cette Amérique miteuse, faite de surconsommation et des étendues de camping car où vivent les populations les plus pauvres du pays. On suit ce duo à travers les Etats vers un job qui pourrait sauver la vie d'Henry et de son fils. Malheureusement le chemin est semé d'embuches.
"Henry verrouilla les portes du pick-up avant de prendre la sortie qui menait à la zone industrielle, là où les immeubles tout en verre cédaient la place aux cheminées d'usines abandonnées depuis longtemps. Alors qu'ils passaient des pâtés de maisons délabrées, Henry imaginait les anciens occupants qui avaient pointé dans ces usines"
Jakob Guanzon fait un portrait de l'Amérique de Nomadland. Il décrit les plaines de l'ouest où rien ne survit, même pas la richesse des plus grandes fortunes. Il dresse le portrait de l'American dream qui a mal tourné, celle où on brule la chandelle par les deux bouts et où l'on se retrouve finalement sans rien.
Même si le début du roman peut paraître un peu long, il faut s'accrocher pour découvrir cette histoire bouleversante. C'est autant une histoire de société qu'une histoire d'amour entre un père et son fils. Ce roman est le récit de ceux qui n'ont rien à part eux-mêmes.
"L'espoir, c'est peut-être trop demander mais du confort, ça semble raisonnable. Il se pose la question : s'il arrive un jour à refaire du confort une constante dans leur vie, observera-t-il toujours son environnement avec la même admiration naïve ? Ou est-ce que ce n'est que passager ? "
Dans quel monde vit-on ?
C'est un peu la question principale que pose ce roman. Ce que décrit Jakob Guanzon dans son roman, c'est aussi ce que la société fait aux gens. Alternant les chapitres sur l'enfance et l'adolescence de Henry, on y découvre les ravages d'un père violent, de grandir sans amour, dans un monde violent et sans argent.
On suit l'adolescence d'un ado métisse, avec un père Itay qui le bat, un ado qui ne peut pas avoir une adolescence "normale" comme aller au lycée et en profiter. Cette adolescence, c'est celle d'un ado qui doit veiller son père et travailler. C'est aussi celle d'un ado qui commet des délis pour s'en sortir et gagner quelques dollars.
Mais c'est aussi l'histoire d'amour entre Henry et Michelle, la mère de Junior, qui aborde un autre sujet primordial : celui de la drogue. Jakob Guanzon y décrit les ravages sur les jeunes et sur les populations les plus précaires.
Si ce roman ne se donne pas facilement, il vaut le coup de persévérer. Jakob Guanzon dresse un portrait acerbe de l'Amérique nomade et de ceux qui la peuplent à travers la terrible histoire d'un père et d'un fils.
"Abondance", Jakob Guanzon (traduit par Charles Bonnot), Editions La Croisée, 336 pages, 22€