Il est parfois difficile de faire le tri parmi les presque 600 ouvrages qui sortent à chaque rentrée littéraire, et il est surtout trop cher de tous les acheter en grand format. Alors, pour celles et ceux qui sont patient.e.s, voici quelques livres de la rentrée littéraire de l'année dernière qui sont désormais disponibles en poche !
Au printemps des monstres, Philippe Jaenada
Un soir de printemps 1964, Luc Taron, un petit garçon de onze ans, est enlevé à Paris. Son corps est retrouvé le lendemain dans une forêt de banlieue, il a été assassiné. Durant plus d’un mois, un inconnu harcèle les médias et la police et envoie des lettres de revendication signées “l’étrangleur”. Des lettres sont même envoyées aux parents de l’enfant, déjà chamboulés. Jusqu’au jour où il est enfin arrêté. Cet homme, Lucien Léger, un infirmier sans histoire, avoue le meurtre et est incarcéré et mis à l’écart de la société pour le restant de sa vie. Condamné à perpétuité, il clame pourtant toute sa vie son innocence.
Mais pour l’auteur, cette enquête est composée de zones d’ombres. Et si Lucien Léger était réellement innocent ? C’est ce qu’une enquête de deux journalistes datant de 2012 révèle, remettant alors en cause la culpabilité du plus ancien détenu de France. Bien connu des faits divers, Philippe Jaenada décide de s’y coller… Avec Au printemps des monstres, l’auteur revient - après quatre ans d’enquête - sur cette affaire et nous délivre sa propre analyse et ses diverses interrogations. L’auteur va reprendre tout le dossier, se rendre sur les lieux du crime, analyser la vie de tous les protagonistes de l’affaire. Et dans cette histoire, tout le monde triche, ment et trompe son monde. Mais une chose est sûre pour Jaenada, ici les pervers, les monstres, les fous ne sont pas souvent ceux qu’on accuse.
Entre indignation, consternation, digressions, auto-dérision, Philippe Jaenada nous tient en haleine sur près de huit cent pages. Durant quatre ans, il n’aura eu que cela en tête. Entre fait divers haletant et enquête minutieuse, l’auteur maîtrise avec brio à la fois son humour débordant, sa noirceur et sa révolte pour aboutir à un magnifique chef-d'œuvre littéraire.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"Au printemps des monstres", Philippe Jaenade, Editions Points, 912 pages, 10,60 €
Revenir à toi, Léonor de Recondo
Magdalena a grandi sans nouvelles de sa mère, Apollonia. Elevée par ses grands-parents après le départ de sa mère et le nouveau mariage de son père, elle s’est jetée dans la fiction théâtrale pour survivre : incarner le plus de personnages possibles pour ne pas sombrer, pour ne pas avoir à accepter d’être l’orpheline. Alors qu’elle est désormais une comédienne renommée, son agente lui dit avoir retrouvé sa mère. Magdalena abandonne sa vie à Paris et fonce vers le sud-ouest et la maison éclusière où sa mère a trouvé refuge.
Ce roman de Léonor de Récondo a la force du retour aux origines, la puissance de femmes s’étant battues pour survivre et l’émotion des souvenirs charnels. Magdalena tente d’entrer en contact avec Apollonia et c’est finalement à elle-même qu’elle s’ouvre, revenant sur son enfance avec ses grands-parents, sur le début de sa passion pour le théâtre, sur ses rôles ayant compté, et sur Antigone. Antigone, ce personnage de théâtre qui a traversé les âges et dont certaines des répliques semblent guider la vie de Magdalena. Revenir à toi, c’est une femme qui se réincarne, à travers ses expériences charnelles - anciennes et nouvelles - et au contact de l’amour maternel et filial qu’elle apprend à redécouvrir.
Un roman si sensible et si intime qu’on ne peut qu’interroger nos propres souvenirs et émotions à sa lecture.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
"Revenir à toi", Léonor de Recondo, Edition Livre de Poche, 192 pages, 7,20 €
Où vivaient les gens heureux, Joyce Maynard
Jeune dessinatrice à succès, Eleanor s’offre une maison dans la campagne du New Hampshire, où elle cherche à oublier son passé difficile. Très vite, elle s’entiche du séduisant Cam avec qui elle aura trois enfants : la secrète Alison, l’optimiste Ursula et le doux Toby. Depuis toute petite, elle chérit cette famille dont elle rêvait, cette jeune fille privée d’amour et orpheline à 16 ans. Une famille vivante et aimante, mais surtout heureuse. Une réalité qui très vite lui a échappé, à laquelle elle a cru durant un temps, mais où le bonheur s’en est allé, et avec lui les rêves d’Eleanor.
Dans ce roman attachant, Joyce Maynard nous transporte dans la vie d’une femme, ponctuée par des événements heureux, anecdotiques mais aussi bouleversants. De l’enfance à son mariage, l’auteure dresse le quotidien d’Eleanor à qui la vie aura accordé d’immenses moments de joies et de bonheur. A l’image des planches de BD qu’elle publie et qui feront vivre toute sa famille, Où vivaient les gens heureux évoque les difficultés rencontrées au quotidien, les chemins différents pris par chacun, les enfants qui grandissent puis jugent les adultes, les personnalités des uns que l’on adorait et qu’on ne supporte plus du jour au lendemain…
Joyce Maynard dresse un magnifique portrait de femme, dépeinte avec ses désirs et ses faiblesses, ses réussites et ses échecs. Une femme qui a appris la valeur de l’amour, de la réussite mais aussi du pardon.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
La porte du voyage sans retour, David Diop
Sur son lit de mort, Michel Adanson décide de laisser à sa fille le récit de son voyage au Sénégal, sur l’île de Gorée, alors concession française, pour explorer la flore locale au milieu du XVIIIe siècle. Lors de ce voyage, le botaniste ne se passionne pas seulement pour les fleurs et les plantes qu’il observe, mais également pour la rumeur qui dit qu’une jeune femme, enlevée pour être vendue comme esclave, se serait échappée et aurait trouvé refuge dans l’un des villages de l’île.
David Diop, de sa plume tendre et poétique, nous transporte dans une concession où la traite des Noirs est monnaie courante et où les Français pillent le territoire. Aux côtés de Michel Adanson, le.a lecteur.rice suit avec fascination cette quête pour retrouver la jeune femme, tout en découvrant les terre sénégalaises et les coutumes des peuples qui y survivent.
C’est une légende aux mille facettes que l’auteur de Frère d’âme dévoile au fil des pages, une magnifique légende de puissance féminine, de bonté et de fraternité. La richesse du vocabulaire de David Diop et son langage travaillé nous offrent un récit à couper le souffle, où histoire d’amour et révolte contre l’esclavage côtoient l’héritage commun de l’humanité.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
"La porte du voyage sans retour", David Diop, Editions Points, 264 pages, 7,90€
L’embuscade, Emilie Guillaumin
Clémence, enceinte de son quatrième enfant, attend avec impatience le retour de son mari, Cédric, parti avec son régiment pour la guerre au Levant. Quand on toque à sa porte un matin très tôt, elle sait que toutes ses craintes viennent de prendre vie : l’armée vient lui annoncer la disparition de son mari. Il a été pris dans une embuscade, aux côtés de cinq de ses collègues du 13e régiment de parachutistes. Clémence va désormais devoir faire face aux secrets de l’armée, de la guerre qu’elle mène au Levant et à l’impossibilité du deuil.
Accompagnée de Myriam, Carine, Jeanne et Manon, les femmes des soldats tombés avec son mari, Clémence vit un enfer : ne pas comprendre les circonstances de la mort de son mari, ne pas pouvoir expliquer à ses trois garçons qui idolâtrent leur père et n’attendent que son retour qu’ils ne pourront plus jamais le voir.
Entre le sens du devoir auquel Cédric a voué sa vie et la nécessité de comprendre, Emilie Guillaumin met en scène une femme forte et courageuse qui n’aura de cesse d’essayer de rétablir la vérité sur ce qu’il s’est réellement passé dans ce village syrien ce 29 août. Même si cela doit parfois la conduire à aller contre l’armée, cette famille que s’était choisie Cédric et qu’il respectait, Clémence tient bon, tire sa force de ces fils et de cette vie qui grandit en elle.
Un roman qui nous entraîne au coeur des opérations spéciales de l’armée française et des difficulté pour les familles à saisir le métier de leur proche.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
"L'embuscade", Emilie Guillaumin, Editions HarperCollins Poche, 7,50€