Pour la sixième année consécutive, tout l’été, et chaque semaine, Untitled Magazine vous propose trois livres à lire. Que vous soyez dans votre maison de campagne, au bord de la plage, entre amis ou encore au travail, vous devriez trouver votre bonheur.
Le goût âpre des kakis, Zoyâ Pirzâd
Les Editions Zulma nous proposent un nouveau recueil de nouvelles de l'Iranienne Zoyâ Pirzâd qui, comme d'habitude, se dévorent. Dans ce court volume, l'autrice décrit des scènes de la vie quotidienne de couples en Iran, toujours du point de vue des femmes. Depuis les traditions qui imposent aux jeunes filles des maris qu'elles n'ont pas choisi, à ceux qui attendent de leurs femmes qu'elles quittent leur métier pour s'occuper de la maison, en passant par les liens créés par une vieille femme veuve avec son nouveau locataire autour d'un jardin et de kakis, ce sont encore une fois les relations quotidiennes qu'explore Zoyâ Pirzâd.
De sa plume douce et précise, elle nous transporte dans l'appartement de cette femme qui s'ennuie, dont le mari est indifférent mais qu'elle ne sait pas comment quitter, ou bien de cette autre qui divorce de son mari et qui se construit une nouvelle vie seule. Les couleurs de l'Iran, les odeurs et le goût des kakis accompagnent chacune de ces nouvelles qui nous transportent dans une société où le statut des femmes est encore bien trop défini par la relation aux hommes de son entourage.
Mais comme dans Comme tous les après-midi et On s'y fera, ce sont des femmes fortes, avides de liberté et d'indépendance que nous présente l'autrice. Des femmes tentant de trouver leur place dans cette société, dans ces traditions, aux côtés de leurs maris ou de leur entourage.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
Montedidio, Erri De Luca
Montedidio, littérairement traduit de l’italien par « Mont de dieu », est la plus haute colline de Naples sur laquelle s’entassent des appartements populaires. C’est de là que vient le narrateur de cette histoire. Les cris en dialecte napolitain qui montent de la rue perturbent le silence de son appartement. « Naples a un âne sur son drapeau, ce doit être parce que la foule du stade crie aussi fort qu'un bourricot ! » À treize ans, son père l’envoie dans l’atelier d’ébéniste de Mast’Errico. Finis l’école et les copains : il s’agit de grandir. Montedidio est le récit du passage de l’enfance à l’adolescence d’un jeune garçon. Sa mère malade est à l’hôpital. Son père est soit en train de travailler au port, soit au chevet de sa femme. Le jeune narrateur se retrouve alors tout seul. En plus d’un nouveau métier, il doit apprendre à s’occuper de l’appartement et de lui-même.
Heureusement, il fait la rencontre de la belle Maria, une jeune fille de son âge qui habite le même immeuble que lui et qui est elle aussi laissée seule face au propriétaire vorace. Maria sera l’occasion pour le jeune narrateur de découvrir les émois de l’adolescence … « Puis, avec Maria, nous nous mettons à parcourir le ciel étoilé le nez en l’air, elle dit que c’est un couvercle, moi je dis que c’est un filet, chaque étoile est un nœud. » Erri de Luca écrit ce roman dans un style très simple et facile à lire. Il adopte le point de vue d’un jeune garçon qui écrit son journal sur un grand rouleau tous les soirs. Loin d’être niaises, les réflexions du narrateur sont pleines de poésie et de justesse. Tout est métaphore chez Erri de Luca, et tout semble tendre vers l’envol final à la fin du récit. Y arrivera-t-il ? Se jettera-t-il de Montedidio ?
Critique rédigée par Lucie Jubin
Blackwater I - La Crue, Michael McDowell
Coup éditorial magistral de la part des éditions Monsieur Toussaint Louverture, rares sont ceux qui sont passés à côté de la saga Blackwater de Michael McDowell. Véritable roman-feuilleton remis au goût du jour, Blackwater La Crue offre au lecteur un premier tome mystérieux et passionnant, où l’on rencontre la fortunée famille Caskey dans une situation apocalyptique.
La rivière Blackwater, dont la saga tient son titre, inonde soudainement la ville de Perdido et la ravage. De cette crue historique, apparaît énigmatiquement une jeune femme : Elinor Dammert. Séduisante, elle réussit sans grandes difficultés à se faire accepter des habitants, et surtout, de la puissante famille Caskey, notamment d’Oscar qui en est fou amoureux. Un lien étrange semble lier la jeune fille à la rivière Blackwater, mais lequel ?
Entre saga familiale et roman fantastique, Blackwater tient de nombreuses promesses pour tenir le lecteur en haleine. Chaque personnage à son importance et un rôle. Située en 1919, en pleine ségrégation, l’auteur a insisté sur la couleur de peau des personnages et leur situation sociale. La richesse de Perdido se dispute entre trois familles : les Caskey, les Sapp et les Welles. La ville est traversée par deux rivières : Blackwater et Perdido, et au bout de ces deux rivières, là où elles se rejoignent, se situe une zone très dangereuse. Ces rivières baignent le récit et Elinor Dammert en est leur mystère : « Il dénouait lentement l’amarre, savourant le sentiment d’être sorti sain et sauf de cette pénible aventure, quand il remarqua ce qu’il n’avait pas vu jusqu’alors : le soleil éclairait à présent la trace de l’eau sur le papier peint. Elle se situait à plus de cinquante centimètres au-dessus du lit fait avec soin d’Elinor Dammert. Si l’eau était montée aussi haut, comment cette femme avait-elle fait pour survivre ? »
Michael McDowell est connu pour être un maître de l’horreur et pour avoir été l’inspiration de Stephen King pour son titre La Ligne verte. Avec Blackwater, McDowell réalise son désir de faire une littérature « pour que les gens prennent du plaisir à lire (...), pour passer un bon moment sans avoir à lutter ».
Critique rédigée par Laurence Lesager