Vous aussi vous êtes perdu.e.s avec toutes les sorties récentes, tous les livres qu’on vous conseille et toutes les recommandations des libraires jusqu’à en oublier de lire des bandes dessinées ? Pas d’inquiétude, on a pensé à tout et on vous concocte des sélections de nos BD préférées !
Gloria, Almudena Pano
Gloria, jeune femme rêveuse et pleine de vie, passe ses journées à prendre soin des enfants et des adolescents traumatisées par des violences et des accidents de vie. Assistante sociale dans un centre d'accueil, elle est - malgré le manque de reconnaissance de ces métiers - le pilier de cette structure. Plus qu’un travail, elle a fait de sa profession une véritable mission. Mais voilà bien un métier ingrat, où Gloria tout comme ses collègues, travaille sans compter ses heures pour un salaire de misère. Impossible pour elle, malgré un temps plein de quitter le foyer parental et de voler de ses propres ailes. Coincée dans cette situation délicate, elle est néanmoins incapable d’abandonner les enfants dont elle s’occupe.
C’est avec pudeur et bienveillance qu’Almudena Pano nous fait découvrir à travers Gloria le travail effectué au quotidien auprès de ces enfants traumatisés. Au fil d’une narration à la première personne, on fait la connaissance d’Angelo, un jeune schizophrène qui entend des voix du dieu Odin, qui lui ordonne de faire du mal aux autres, et également de Valentine et Greta, deux jeunes filles violentées par leur père. Des parcours différents, qui se font écho et permettent de mettre en évidence la maltraitance sous toutes ses formes.
Sous fond d’un graphisme coloré, l’auteure lève le voile sur le cas particulier de l’inceste, commis par des pères, des oncles, des aînés, des mères qui abusent de leur pouvoir sur les plus jeunes, les plus faibles. Des crimes qui peuvent ensuite démolir un quotidien, une vie mais également toute une famille.
Une bande dessinée poignante qui nous plonge dans le quotidien d’un centre d'accueil pour mineurs et qui met avec brio en lumière le travail difficile mais indispensable de ces professionnels de la protection de l’enfance.
"Gloria", Almudena Pano, Editions rue de l'échiquier, 226 pages, 24,90 €
Djarabane, Au petit marché des amours perdues, Adjim Danngar
1984, Kandji habite avec sa maman à Sahr, une petite ville du Tchad. A l’école, il apprend à lire, à écrire et à compter. A sept ans, il s’emerveille devant une peinture accrochée au mur du salon. Admiratif des couleurs et du paysage, il se fait la promesse de devenir peintre. Au quotidien, il se balade dans les rues de Sahr, s’étonne de son monde, pose des questions sur ce qui l’entoure, découvre la vie. Autour de lui, gravitent Zarathou, un sorcier étrange qui traîne dans les rues, Jérôme qu’il surnomme Baba, le nouveau copain de sa mère qui l'emmène faire un tour sur sa moto, des militaires français qui patrouillent dans leur blindé (appelés les gobis) ou encore Absakine qui arpente le village avec son singe en cage. Jusqu’au jour où son beau-père reçoit sa nouvelle affectation en tant que fonctionnaire et doit se rendre à N’jamena, la capitale. Une ville infernale, où dans un contexte géopolitique tendu, il est difficile de vivre…
A travers ces planches, Adjim Danngar partage son enfance dans une ville tchadienne des années 80. Hache-Hache (Hissène Habré) dirige le pays, en guerre contre la Libye voisine pour le contrôle du Nord, d’une main de fer. Mais existe-t-il une place pour un jeune Tchadien, rêvant de devenir un artiste dans une société instable ?
L’auteur raconte à merveille le quotidien de ce petit garçon, qui rêve de devenir peintre mais dont l’avenir est sans cesse remis en cause par les aléas politiques. Si la première partie se focalise sur son enfance et les années 80, la seconde nous emporte dans les années 90 en plein N’Djaména où Kandji a dû suivre ses parents et doit désormais travailler pour vivre, tout en gardant ses rêves d’artiste. Semi-réaliste et en noir et blanc, le trait n’est rompu que par des peintures décorants l’appartement familial ou les peintures murales servant à attirer les clients chez les commerçants de N’Djaména.
Adjim Danngar signe un récit émouvant et livre une réflexion sur l’exil et la place des rêves dans un contexte politique précaire où il est parfois difficile de faire perdurer ses désirs d’enfants.
No sleep till Shengal, Zerocalcare
Connu pour sa BD Kobané Calling narrant son voyage en 2014 auprès des Kurdes en lutte contre Daech, et plus particulièrement de l'armée de femmes, Zerocalcare s'est cette fois-ci rendu aurpès d'une minorité irakienne dont la lutte a moins été médiatisée que celle des Kurdes : les Ezidis du Shengal - souvent plus connue sous le nom de Yézidis du Sinjar.
Au printemps 2021, le bédéiste romain est donc à nouveau contacté pour documenter la tentative d'une nouvelle organisation démocratique - le confédéralisme démocratique, déjà mis en place par les Kurdes du Rojava - par un peuple qui a subi nombre d'injustices et de massacres au cours des dernières années. Alors que l'Occident a progressivement arrêté de regarder vers l'Irak, des poches de terroristes de Daech sont toujours présentes sur le territoire, des femmes sont toujours retenues otages. Zerocalcare, emmenant dans son sac les personnages qu'on connaît désormais si bien - son tatou et la tête de Descartes -, accepte ce voyage tout en s'interrogeant sur ses motivations, les risques encourus et la façon dont il pourra rendre justice dans sa BD à ces hommes et ces femmes qui ont tout perdu.
De son trait noir et son humour cynique, Zerocalcare nous emmène donc au fil de ce périple au cours duquel il a peur de se faire arracher les ongles par les services secrets irakiens, il craint de redevenir addict au chaï, la boisson coutumière, il manque de sommeil à cause de l'armée de phacochères coincée dans la gorge de son voisin de lit. Mais l'auteur italien nous raconte également la rencontre avec tou.tes ces femmes et hommes si courageux.ses, qui luttent contre les terroristes de Daech, contre les drones turcs et contre les autorités irakiennes qui veulent leur enlever leur autonomie.
Comme à son habitude, Zerocalcare met devant nos yeux l'hypocrisie de l'Occident qui a abandonné ces peuples qui nous ont pourtant aidé à défaire Daech, nous enjoingnant nous aussi à soutenir cette expérience démocratique mise en place par les Ezidis du Shengal.