La fin de mois est difficile et vous ne pouvez pas vous offrir les livres de la dernière rentrée littéraire ? Pas d’inquiétude, la rédaction d’Untitled Magazine a pensé à vous et vous a concocté une sélection de livres à petit prix mais de grande qualité !
Un fil rouge, Sara Rosenberg
Dans son roman choral, Sara Rosenberg nous propose de suivre la vie et les mésaventures d'une révolutionnaire argentine, Julia Bernstein, à travers les récits croisés de ceux qui l'ont connue et côtoyée, famille, camarades de lutte, amants ou informateurs repentis, dans les années 1970. Nous découvrons donc le personnage de cette femme qui s'est battue toute sa - courte - vie pour la liberté des citoyen.nes argentin.es, qui a tenté de redistribuer aux plus pauvres, de leur donner des clés d'éducation et de compréhension de ce qui les entoure, et qui a inévitablement fait des séjours en prison, en tant que prisonnière politique.
Récit passionnant extrêmement documenté sur ce qu'était la révolution politique au cours de ces années décisives pour une Argentine qui s'est enfoncée petit à petit dans la dictature, Un fil rouge bouleverse par le mélange entre les anecdotes d'ami.es qui ont aimé Julia et par les réflexions politiques mises en place par ses camarades de lutte communistes, par l'inscription du contexte argentin dans une Amérique latine en grand bouleversement.
Un roman incontournable pour qui veut comprendre la résistance politique de gauche dans ces années 1970 en Argentine de l'intérieur. On s'attache si facilement à Julia et à son destin tragique qu'on a l'impression d'avoir parcouru un bout de chemin à ses côtés.
Critique rédigée par Mathilde Ciulla
Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, Mathias Enard
David Mazon est un jeune chercheur en anthropologie, et pour les besoins de sa thèse sur la vie en campagne, il va emménager dans un village dans les Deux-Sèvres. Ce thésard parisien se trouve plongé dans une communauté rurale dont il ignore les codes. Aux côtés d'un maire fantasque, des piliers du PMU du village et de parties de chasse, David Mazon tente de croquer les habitants.
Fable fantasque sur le marais poitevin, Mathias Enard écrit un ambitieux roman qui met au jour la vie dans les communes les plus reculées mais aussi les difficultés rencontrées par ces habitants. Drôle et burlesque, ce long récit peut parfois nous perdre mais c'est la plume de Mathias Enard qui nous retient de fermer ce livre trop tôt. Il écrit ici un département qu'il connait bien. L'auteur nous fait voyager cette fois dans cette France parfois trop inconnue, à l'instar de son narrateur anthropologue, c'est un portrait de la société qu'il dresse.
Ce roman dense et drôle à la fois peut parfois nous laisser pantois mais le dénouement vaut le détour.
Critique rédigée par Mathilde Jarrossay
Les prisonniers de la liberté, Luca di Fulvio
1913, trois jeunes embarquent pour l'Argentine pour fuir un destin douloureux.
Fuyant la misère et la cruauté des hommes, Rosetta n’a pas d’autre choix que d’abandonner sa ferme et son village italien. Recherchée par un baron à qui elle a fracassé la tête après un viol, elle sera soucieuse d’aider et réparer les injustices dans un pays qu’elle ne connait que de peu.
Rocco, lui, refuse de se soumettre à la mafia locale et embarque en laissant derrière lui sa Sicile natale, sans grand espoir de retour. Il fuit Palerme en espérant échapper au destin que son père a gravé dans sa peau.
Rachel, jeune fille juive, a vu sa famille décimée dans un pogrom. Arrivée à Buenos Aires, elle vendra ses cheveux pour se faire passer pour un garçon, seul moyen de survivre dans cette ville aux allures de bordel à ciel ouvert. Tous les trois embarqueront à bord du même bateau avec comme horizon une vie meilleure, mais tout ne se passera pas comme prévu.
Luca di Fulvio nous transporte dans les bas-fonds de Buenos Aires, dans des ruelles où la misère et la faim inquiètent, où les taudis s’entassent les uns contre les autres et où les femmes ne sont pas plus considérées que du bétail. Il nous raconte à travers cette aventure, la vie des émigrants en Argentine, arrivés avec l’espoir d'une nouvelle vie, au début du XXème siècle. Un parcours semé d'embûches où amour, amitié et trahisons s’entremêlent.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
Expiation, Ian McEwan
Dans une superbe maison de la campagne anglaise, l’atmosphère est pesante en cette chaude journée de juillet 1935. Cecilia, fraichement diplômée de Cambridge, se découvre des sentiments amoureux pour Robbie Turner, le fils d’une employée de longue date de la famille. Alors que tous les deux ont du mal à cacher leur attirance envers l’autre et succombent de plus en plus à leur passion, Briony, la petite soeur de Cecilia, les surprend. Or, la jeune fille de treize ans à l’imagination débordante ne comprend pas ce qu’elle voit. Les intentions de sa soeur et de Robbie lui échappent complètement, ce qui l’entraine à commettre l’irréparable. En une folle journée, l’ignorance et l’imagination de Briony vont mener la famille à sa perte. Parviendra-t-elle à se faire pardonner de sa soeur ? Robbie et Cecilia auront-ils une chance d’être heureux ?
Expiation est l’histoire d’une petite fille qui perd le contrôle de ses actions en découvrant une face cachée de sa soeur, et détruit le bonheur de plusieurs adultes en pensant bien faire. Ian McEwan propose une belle réflexion sur le pouvoir de l’imagination enfantine et sa responsabilité. Quelle responsabilité attribuer à Briony dans le malheur de sa soeur ? Peut-on pardonner les bêtises effroyables causées par la naïveté d’une enfant ?
Avec Expiation, Ian McEwan signe un classique de la littérature britannique. En plus de cette exploration de la psychologie enfantine, il nous emmène aussi à l’époque de la guerre, aussi bien auprès des troupes anglaises détachées en Normandie que dans les hôpitaux tenus par des infirmières à Londres. Un roman qui se clôt sur un dénouement aussi inattendu qu’émouvant qui élargit la réflexion sur le travail de l’écrivain et la vieillesse.
Critique rédigée par Lucie Jubin
"Expiation", Ian McEwan (traduit par Guillemette Belleteste), Editions Folio, 496 pages, 9,90€
Cent millions d'années et un jour, Jean-Baptiste Andrea
Fils d’un père agriculteur et violent qui battait sa mère, et qui refusait de le voir le nez plongé dans les livres, Stan finit par s’émanciper de ce père tyrannique et poursuivre ses études. Et alors que sa carrière végète, et afin d’effacer une vie sans aspérité et gagner en notoriété, ce paléontologue bientôt à la retraite décide de convoquer deux scientifiques afin de réaliser le rêve qui l’obsède : retrouver le squelette d’un dinosaure pris dans la glace. Une histoire folle qu’un vieux concierge désormais mort aurait découvert dans sa jeunesse au pied d’un glacier du Mercantour Argentera. Une histoire qui raconte qu’alors adolescent, il aurait erré dans la montagne durant trois jours, et surpris par un terrible orage il se serait réfugié dans une grotte. Là, il aurait découvert une étrange créature.
Après de nombreuses recherches, Stan se sent prêt à affronter cette expédition. Il est presque sûr que cette caverne se trouve dans ces montagnes, au pied d’un glacier surplombé de trois pics. Une aventure folle qui raconte le rêve illusoire d’un scientifique, mais celle aussi d’un homme en quête de reconnaissance. Une quête qui leur fera vivre une expérience humaine forte, et fera ressurgir les fantômes du passé tout comme les émotions enfouies au plus profond d’eux.
A travers ce chemin initiatique et cette conquête, Jean-Baptiste Andréa donne vie à la montagne et entraîne le lecteur dans une incroyable randonnée poursuivant le chemin du rêve et de l’obsession, le tout au gré des caprices de la nature et des hommes.
Critique rédigée par Marie Heckenbenner
"Cent millions d'années et un jour", Jean-Baptiste Andrea, Editions Folio, 320 pages, 8,40€
A ciel ouvert, Nelly Arcan
Rose et Julie sont toutes les deux des femmes investies dans l'industrie de la beauté à leur échelle. Rose est styliste et la compagne de Charles Nadeau, un célèbre photographe de mode. Julie, quant à elle, est scénariste. Les deux femmes vont se lier dans une relation malsaine et toxique, chacune cherchant les failles chez l'autre. Car dans le jeu de la séduction et de la beauté, aucune concurrence n'est permise. Rose et Julie sont belles, mais cette beauté a un coût. Toutes deux se sont charcutées à coups de bistouris afin de se figer dans une éternelle beauté et jeunesse à l'épreuve du temps. Alors que Charles passe son temps à retoucher des portraits sur son ordinateur, les deux femmes se livrent à une lutte acharnée pour obtenir grâce aux yeux des hommes.
Cette obsession du corps et de la beauté les aliène totalement. Elles s'isolent de tout, gardant comme seules préoccupations leur travail et l'apparence de leur corps. Si cette guerre de la beauté plaît à certains hommes, d'autres n'en ont que faire. Pour Rose et Julie, c'est également un moyen de faire face à leur solitude mutuelle et leurs traumas, mais dans cette maltraitance du corps masquée en embellissement, c'est avant tout un mal-être profond et pathologique qui surgit. S'effacer jusqu'à se figer en une entité impersonnelle. Se survivre à soi-même. Faire de son corps une vitrine, s'oublier, et se réduire à l'état d'objet, de « femme-vulves » au rôle bien prédéfini par la société et la gent masculine.
Dans ce huis clos à la tension ascendante, Nelly Arcan dénonce, avec un texte purement fictif, les travers de l'industrie de la beauté, de la chirurgie esthétique, mais aussi l'aliénation dans laquelle certaines femmes peuvent tomber quand il s'agit de la « beauté fatale » (cf. Mona Chollet).
Critique rédigée par Laurence Lesager
"A ciel ouvert", Nelly Arcan, Editions Points, 256 pages, 7€