Avec 1958, son quatrième album, le chanteur et écrivain Blick Bassy rend hommage à Ruben Um Nyobè, l'un des héros de l'indépendance camerounaise, assassiné en 1958 par des soldats français. Un disque contre l'oubli, à la fois beau et déchirant.
Trois ans après la sortie de son premier roman Le Moabi Cinéma, lauréat du Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire, Blick Bassy revient à ses premières amours, la musique, dans ce nouvel album intitulé 1958. L'artiste camerounais, dont la carrière musicale est déjà longue, y rend hommage à Ruben Um Nyobè, héros de l'indépendance camerounaise tué en septembre 1958. Comme souvent, Blick Bassy sait trouver les mots et les notes justes pour parler de son histoire, de son peuple et de ses racines dans une langue universelle : celle du coeur.
Un disque manifeste
Blick Bassy est né au Cameroun en 1974, soit 14 ans après l'indépendance de ce pays d'Afrique centrale, placé sous protectorat allemand à la fin du XIXe siècle, puis administré par la France à l'Est et le Royaume-Uni à l'Ouest à l'issue de la Première Guerre mondiale. Une histoire coloniale douloureuse et parfois trouble, dont certains grands noms ont été effacés des livres d'histoire. Ce fut le cas par exemple de Ruben Um Nyobè, réhabilité dans les années 1990, qui fut l'un des premiers leaders à s'élever contre l'autorité française en 1955 et à revendiquer l'indépendance du Cameroun. Surnommé Mdopol, "celui qui porte la parole des siens" en langue bassa, Ruben Um Nyobè est mort assassiné par des soldats français le 13 septembre 1958 dans une forêt. Aujourd'hui, Blick Bassy lui rend hommage avec cet album écrit également en bassa, sa langue maternelle parlé par deux millions de personnes au Cameroun, qui compte plus de 25 millions d'habitants.
Dans cet album, Blick Bassy se glisse dans la peau du leader camerounais (Lipém) ou lui témoigne son admiration dans le sublime morceau d'ouverture Ngwa, qui signifie "l'ami". Le clip, réalisé par Tebogo Malope, met en scène Blick Bassy dans la peau de Ruben Un Nyobè, poursuivi par des chevaliers en armure, métaphore de la violence coloniale qui a douloureusement marqué l'histoire des peuples d'Afrique. Pour autant, la musique de Blick Bassy est moins un appel à la rancoeur qu'une incitation à croire en l'homme et à sa capacité à se relever et à se battre pour des causes justes. A travers des morceaux comme Nguiyi ("l'ignorance"), Sando Ngando, Pochë ou Bès Na Wé, le chanteur invite ses compatriotes à se rapprocher de leurs valeurs ancestrales, à revendiquer leurs racines et à faire de cette histoire, si douloureuse soit-elle, une force pour l'avenir.
Blick Bassy - © Justice Mukheli
Ce message universel passe à travers une voix sans fard, colorée et profonde qui nous transporte au coeur de ce pays aimé. Avec une certaine audace, le violoncelle de Clément Petit se mêle aux cuivres et aux guitares sur des rythmes africains recréés par ordinateur. Un mariage réussi entre l'organique et le synthétique qui rejoint l'idée selon laquelle tradition et modernité, loin d'être opposées, peuvent s'allier pour donner cet objet fascinant qu'est 1958. Une plongée dans le passé, un moment suspendu, le récit d'une histoire violente et la louange d'une culture ancienne, un appel à l'apaisement et à la connaissance pour bâtir, ensemble, l'Afrique de demain.
