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Gagarine : Fanny Liatard & Jérémy Trouilh, « On avait envie de raconter l’histoire universelle de ce que c’est que de devoir dire au revoir à un chez soi »

2 juillet 2021, par Untitled Magazine

Sélection officielle du festival de Cannes 2020, « Gagarine » est le premier film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Prolongement d’un travail de portraits documentaires et d’un court métrage, réalisés dans la cité Gagarine, à Ivry-sur-Seine (94), « Gagarine » est la rencontre magique entre fiction et images d’archives. Fanny Liatard et Jérémy Trouilh reviennent avec nous sur leur expérience du film, leur vision de la jeunesse, de la communauté, de l’ancrage à un territoire, et de la cité Gagarine.

"Gagarine" est une fiction qui raconte l’histoire d’un jeune homme de 16 ans, Youri, qui s’accroche à la cité dans laquelle il a grandi, qui va être démolie. Au fur et à mesure que la cité se vide, il se prend à rêver et à penser les derniers instants de cette cité comme un voyage dans l’espace.

C’est un film sur l’espace au sens large : celui de la cité Gagarine, et celui de l’espace comme la conquête de l’espace. Quel est le lien entre les deux ?

Fanny Liatard : Ca commence par une rencontre avec la cité Gagarine en 2014. En découvrant Paris on découvrait sa banlieue.

Des amis architectes nous ont invités à venir faire des portraits d’habitants, c’est comme ça qu’on a découvert cette grande barre de briques rouges. On savait que ça allait être démoli, on était hyper étonnés, on la trouvait belle, plutôt pas trop pourrie à première vue.

Le fait que cette barre d’immeuble rassemble autant d’histoires, le fait qu’il y ait un grand astronaute qui soit venu l’inaugurer, celles de milliers d’habitants passés par là, avec leurs histoires de migrations, ça nous a donné envie de faire une fiction.

Tout de suite la volonté était de décaler le regard qu’on peut porter sur les territoires de quartiers populaires. L’espace, le côté science-fiction donc, était déjà présent dans l’histoire de Gagarine, on a voulu représenter l’histoire fictive de Youri, un jeune qui voit sa cité comme un vaisseau spatial.

Comment on filme une cité aussi imposante ?

F.L : On la voyait comme un personnage dont l’évolution irait en parallèle de l’évolution du personnage de Youri.

Au début, pleine de vie donc on l’a filmée plutôt de manière documentaire, avec des vrais habitants, avec une lumière naturelle et quand il y a des touches d’imagination de Youri, elle teinte la mise en scène.

Ca va crescendo dans le film, l’idée est de la voir à travers ses yeux et donc comme un vaisseau spatial et on l’amène petit à petit dans le film par le son, la lumière, par des angles de vue. Plus Youri est seul dans sa cité, plus son imagination prend le dessus et on regarde cet endroit plus comme un immeuble mais comme son vaisseau.

©Hautetcourt

C’est aussi un film sur l’appartenance à un espace. C’est à partir des portraits documentaires que vous vous êtes dit que cette question est centrale. Pourquoi faire ça à travers le personnage de Youri ?

F.L : On avait envie de raconter l’histoire universelle de ce que c’est que de devoir dire au revoir à un chez soi, c’est une situation qu’on a tous.tes vécu, qui existe partout. Dans ce cas, on voulait regarder la cité avec tendresse et rêverie, c’est ce que fait notre personnage, c’est quelqu’un qui a foi dans la beauté du monde, le collectif.

Le bâtiment quand il se vide, il n’a plus vraiment de sens.

Mais c’est son identité, il s’appelle Youri, il a grandi dans une cité qui s’appelle Gagarine donc quand on démolit tout d’un coup cette identité-là, comment on fait ? qu’est-ce qu’il reste ?

C’était important qu’il « répare » la cité ?

Jérémy Trouilh : Pour nous, Youri c’est un être qui a foi en le fait qu’on peut ne pas faire table rase du passé quand tout ne va pas bien.

On peut réparer des choses, réinventer d’autres choses. Dans ce sens-là, Youri et Diana se retrouvent bien.

Il y a quelque chose d’un peu politique pour nous derrière. Ca ne veut pas dire qu’en urbanisme on défend à tous prix la réhabilitation et pas la démolition, parce que ça dépend de chaque cas particulier, mais de manière politique, écologique et même économique, se dire qu’on est pas obligés de tout jeter, c’est quand même intéressant.

C’est intéressant le lien avec la communauté Rom, quand on parle d’ancrage sur un territoire. C’était quoi l’objectif dans le fait de faire le lien, à travers Lyna, avec cette communauté ?

J.T : On a écrit le personnage de Lyna car il y avait un bidonville au pied de la cité Gagarine pendant des années, habité par plusieurs centaines de personnes de la communauté Rom et qui étaient dans une grande précarité.

En plus de la précarité du quotidien, la précarité de pas savoir combien de temps ils allaient pouvoir rester. Ils ont fini par se faire expulser avant que la cité ne soit vidée.

Ces deux précarités, une à la verticale et une à l’horizontale qui ne se regardaient pas trop, voire se toisaient un peu, ça nous marquait. Parce qu’ils sont soumis aux mêmes règles invisibles de plus puissants qui ne leur laissent pas le choix de développer une identité liée à un territoire, parce que menacés de devoir en partir.

On avait bien envie de construire une force solidaire entre ces deux personnages, de ces deux mondes-là, parce qu’ils sont en miroir évidemment.

©Hautetcourt

Ca fait quoi de se retrouver dans la cité Gagarine au début de sa démolition et de se dire que les images qu’on est en train de réaliser, seront probablement les dernières images de cet espace-là ?

J.T : C’est touchant, bouleversant.

Ce qui a été fou, c’est qu’on écrivait cette fiction et que petit à petit le réel venait s’ajuster et ajuster la fiction. Effectivement on vidait de plus en plus, on posait des portes blindées et on dévitalisait chaque appartement. Et après il n’y avait plus personne.

On y allait de temps en temps, c’était vide. Et à l’intérieur des appartements, comme les gens savaient qu’il n’y aurait personne derrière eux, ils avaient, pour beaucoup, abandonné parfois leur vie entière. La table mise avec les couverts. Des cartes postales, des photos de famille. Vraiment un décor de Titanic. Ca, on a pu le reprendre.

C’est ce que disait Fanny, une cité à partir du moment où elle n’est plus habitée, très rapidement elle commence à s’effriter et à tomber d’elle-même. Et après on était là au premier coup de pelleteuse de démolition de la cité, notre émotion elle n’a rien à voir avec celle des habitants qui étaient là pour voir leur « maison ».

De même, les figurants, anciens habitants de Gagarine, avaient des scènes à l’intérieur du bâtiment. Ils se retrouvaient à fouiller pour retrouver leur ancien appartement et se souvenir de quand ils étaient gamins dans les coursives. Tout ça c’était des moments forts.

Le fait de débuter par des images d’archives, j’imagine que ça s’imposait. Est-ce que vous pensez que ce film pourra être une forme d’archive aussi ?

F.L : On espère, il y avait l’idée, quand on fait des films il y a aussi l’idée de garder une trace, laisser une trace. Et là c’est assez littéral. Même si c’est une fiction, les gens pourraient s’y retrouver un peu : c’est vrai que ça fait un peu objet de mémoire.

On adore les images d’archives, c’est plein de nostalgie, on voulait parler du temps où on construisait les grands ensembles pleins d’espoir, donc cette archive de début ça a été un cadeau car on l’a trouvée à la toute fin du montage.

D’une certaine manière, c’est un film sur la jeunesse et pourquoi c’est important aujourd’hui de renouveler les imaginaires sur la banlieue ?

F.L : On a rencontré plein de jeunes, on trouve qu’ils sont beaux, qu’ils sont intéressants et c’est en contraste avec ce que les médias montrent quand ils parlent des quartiers. Donc c’est important de montrer qu’il y a d’autres récits, d’autres visages et c’est la France, on en parle en occultant parfois une partie.

Et pour nous c’était excitant, rafraîchissant, ça donne foi en l’avenir, ce sont eux qui ont les clés alors autant les entourer de tout ce qu’on peut de bienveillance et d’armes pour le futur plutôt que de les enfermer dans des images réductrices et stigmatisantes. Peut-être que notre film peut un peu raconter autre chose.

©Hautetcourt

Sur toute la fin on observe la montée en puissance des images oniriques. Quel était le processus de construction de ces images, pourquoi ces choix-là ?

F.L : Pour nous c’est un peu l’apothéose du rêve de Youri et c’est un double mouvement. Il s’est isolé, il a été abandonné.

Et dans cet isolement, son arme c’est son imagination qui a grandi, il avait tellement foi là-dedans qu’elle est venue intervenir dans sa vraie vie. C’est l’explosion de son imagination qui teinte la cité.

Est-ce que c’est de la folie, est-ce que c’est beau, est-ce que c’est triste ? Ca c’est de la libre d’interprétation. On avait envie d’une fin à fond, un peu épique, qui aille au bout du rêve.

Premier film, premier film à deux. Comment on fait un film à deux ? Est-ce que vous aimeriez réitérer l’expérience ?

J.T : On est amis depuis qu’on a 18 ans, on a des sensibilités très proches donc on ne se tire pas la couverture d’une idée à l’autre, on est un miroir de l’autre.

Dans notre passé on a toujours tendu à faire des expériences collectives et là c’est génial car les petites difficultés et les grands bonheurs, on les vit à deux. On fait tout ensemble, on ne se délègue rien.

Pour le futur, absolument, réitérer l’expérience.

Gagarine, de Fanny Liatard & Jérémy Trouilh, sortie le 23 juin.

Notre critique ici.




auteur
Le webzine des plaisirs culturels.


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