Fascinante expérience que propose le documentaire La chute du ciel, à travers une plongée au cœur de la forêt amazonienne et du peuple indigène Yanomami, qui y défend son lieu de vie face aux appétits insatiables de puissants financiers brésiliens et autres orpailleurs. En salle.
Rarement, on aura vu pareille proximité se créer entre des sujets filmés et leurs spectateur.ice.s. Qu’un océan, que des langues, qu’une temporalité, nous séparent des Yanomami filmé.e.s ici, n’importe pas. Les corps, les images et les sons s’infiltrent et résonnent dans l’espace de projection, et cela bien au-delà (aussi infranchissable parait-elle) de la lutte politique que livre depuis des décennies les membres de cette communauté parmi les plus grandes à vivre dans les forêts d’Amérique du Sud. Car si l’on peut être intrigué.e par ce mode de vie frugale et agraire, pied de nez au TINA (There is no alternative) des néo-libéraux.ale.s que l’on s’efforce de leur imposer depuis des décennies à coup d’expropriation, d’empoisonnements, et autres attaques en règle, c’est davantage par cette invitation vers une autre cosmologie, que l’on est happé.e. Centré mais explosé (au montage) autour du rite Reahu, événement le plus significatif de leur métaphysique, La chute du ciel, nous fait vivre là des préparatifs, là des transes, là des conversations, là des retrouvailles.
La caméra frôle les épidermes, découpe abstraitement les corps ou à l’inverse se fixe et essaye de s’ouvrir le plus possible au paysage. Le son s’attarde sur une scène que l’on ne voit plus, interfère avec d’autres images, intervient même pour des piqures de réel. La grammaire cinématographique se fait plastique, les séquences rebondissent entre elles, on ne peut prédire du plan suivant, le sens devient pluriel. Et en même temps, on ne cesse de tourner autour de cette population aux rites étranges, aspiré.e.s par une certaine familiarité qu’ils finissent par dégager.
Sorti.e de la salle obscure après un temps que l’on ne saurait définir (est-ce bien nécessaire ?), on reste longtemps habité.e.s par cette transe cinématographique, mêlant des sentiments diffus d’injustice et d’ouverture, de terreur et de superbe.