Comment penser son existence sans passion ? Que faire quand on a perdu toute illusion de réaliser son rêve ? Telles sont les questions que pose Chloé Zhao dans son nouveau film, au sein d’une communauté de cowboys perdus entre les valeurs traditionnelles de l’Amérique profonde et une réalité sociale mortifère.
Dans les terres arides du Dakota du sud, Brady Blackburn (Brady Jandreau), un jeune cow-boy entraineur de chevaux, chute lourdement au cours d’un rodéo. Marqué dans sa chair, il lui est interdit de remonter sur un cheval à cause de son crâne fracturé. De retour chez lui, dans la réserve de Pine Ridge, il est désormais un cow-boy sans monture, sans essence...
Copyright Les Films du Losange
Grand Prix du 43ème Festival du cinéma américain de Deauville, The Rider est le deuxième film de Chloé Zhao, réalisatrice chinoise devenue new-yorkaise, après Les Chansons que mes frères m’ont apprises, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs en 2015 et déjà situé dans la réserve indienne de Pine Ridge. A mi-chemin entre la fiction et le documentaire, Chloé Zhao s’entoure d’acteurs jouant leur propre rôle afin de dresser un portrait réaliste de l’Amérique profonde, celle qui semble appartenir à un autre temps.
Peindre la masculinité sous un angle nouveau
Face à la blessure, Brady est sans cesse à la recherche d’une liberté qui lui échappe. L’enfermement, chez lui ou au travail, ne lui va guère. Sous le regard d’un père (Tim Jandreau) accro aux machines à sous, à l’alcool et avec une sœur (Lilly Jandreau) souffrant du syndrome d’Asperger, il est toujours à la limite d’un basculement vers la violence. Il lui faut retrouver l’espace, le grand air, le frisson de la compétition.
Brady est le Mickey Rourke de The Wrestler. Il est passionné, adulé, respecté mais brisé physiquement et mentalement. Il accepte de travailler dans un supermarché pour survivre et se bat pour prouver au monde qu’il peut encore être celui qu’il a toujours voulu être. Brady est marqué également dans son être en tant qu’homme, dans sa virilité. Son environnement hier fraternel devient toxique, le ramenant à son handicap et sa vaine existence.
À travers une photographie lyrique, avec des grands angles magnifiant les plaines du Dakota du Sud, Chloé Zhao dépeint une autre vision de la masculinité du cowboy. La réalisatrice parvient au final à envelopper cette histoire de violence et de blessure dans une réflexion sur l’existence, tendre et dure à la fois à travers le portrait d’une bande de cowboys meurtris.
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Drame familial existentiel au coeur d'une Amérique des traditions
Sans le rodéo, sans pouvoir monter à cheval, son existence perd sa raison d’être. Il en arrive même à un point de non-retour lorsqu’il refuse d’abattre son cheval blessé. Un effet de miroir opère à ce moment-là, Brady est le cheval qui souffre et ne peut s’en sortir.
Son échappatoire sera de passer du temps avec Lane, son ami qu’il admirait, lui aussi victime d’un accident de rodéo, mais qui l’a placé dans un fauteuil. Les visites régulières que lui rend le héros engendreront un nouveau miroir, mais déformé. Il ne peut plus monter mais n’est pas encore mort. Sa reconstruction prendra du temps, mais elle ne concerne pas seulement lui, il s’agit aussi de l’histoire d’une famille orpheline de mère qui essaye de réapprendre à vivre avec un père froid, distant et une sœur qui a besoin d’attention.
Que faire quand on a perdu toute illusion de réaliser son rêve ? Quel sens donner à sa vie ? Le retour à la réalité est bien morne pour notre héros, dans ce coin accidenté des Etats-Unis. « Je crois que dieu donne à chacun une raison d’être, pour un cowboy chevaucher » finira-t-il par confier à sa sœur.
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The Rider est une vision de l’Amérique des traditions, de l’American Dream sur laquelle Trump a pu s’appuyer pour se faire élire. Brady ne veut pas se laisser apprivoiser par la société comme les chevaux qu’il dresse. Son salut passera par la projection de son amour des chevaux vers les humains, les plus proches de lui.