L'artiste Paula Modersohn Becker commence doucement à émerger de l'ombre. Si elle est connue en Allemagne, son pays d'origine, le reste du monde l'a quelque peu boudée. Avec une première rétrospective en France l'année dernière au Musée d'art Moderne de la ville de Paris, c'est à l'écran que la première peintre féministe des avant-gardes vient apposer son coup de pinceau. Un biopic réussi sur une femme dont on ne se lassera jamais d'entendre parler.
Clara Juri, copyright Pandora Film
Mordre la vie à pleine couleurs
Paula Modersohn Becker était peintre. Elle en était persuadée. Peu importe qu'elle soit née au siècle où les femmes n'avaient pour seul droit que celui de l'ordre ménager. Cette insolence toute crue, l'actrice Clara Juri la retranscrit presque trop parfaitement. Désinvolte mais toujours désinhibée, on retrouve dans sa performance le jeu d'une adorable ingénue parfois agaçante mais toujours habitée par le besoin de création. Cette patte envolée et toute pudique à la fois est peut-être dûe à la réalisation allemande, un mélange que l'on retrouve dans Toni Erdmann. Le feu qui habite Paula est cependant légèrement passée sous couvert d'un amour maternel déçu et d'une passion amoureuse possessive. Pourtant, sa vie n'est habitée que par la peinture, ce qui lui vaudra la réputation d'être d'un égoïsme et d'une froideur sans limite. Elle fait des caprices à son père, lui affirmant qu'elle ne veut qu'être peintre, elle répond à ses professeurs, elle délaisse son mari pour aller prendre des cours à Paris... Dérogeant toujours à la bienséance pour suivre son cœur créateur, sa vie est rythmée par les couleurs et la matière.
Carla Juri Copyright Pandora Film
Le féminisme ? Non, juste la hargne d'exister
Paula Modersohn Becker est une femme artiste. Elle l'avait décidé mais l'affaire n'est pas aisée dans un siècle absolument machiste. Les femmes n'avaient pas le droit d'assister au cours académiques car les études étaient faites sur des corps nus -et l'on sait bien que la nudité pervertit les femmes ! Pourtant Paula, malgré des ambitions que sa condition ne permettait pas, n'a jamais abandonné. Son père a accepté qu'elle suive des cours en Allemagne -elle faisait partie de la petite bourgeoisie allemande-, elle a épousé Otto Modersohn -un célèbre peintre allemand qui l'a admiré toute sa vie mais qui ne se gardait pas de commentaires incisifs sur son art- et a pu vivre pour et par ce qui l'animait.
Les choix scénaristiques insistent sur cette liberté que l'artiste a su aller chercher. Plus encore, ils nous font parvenir une femme loin de tous les stéréotypes. Pas de larmes à outrance, pas de féminité feinte et une justesse de représentation sans fausses notes. Par exemple, et il est utile de le préciser tant cela tient de l'exception, la scène d'amour est d'une justesse marquante. Pas de bouche entre-ouverte schématique pour exprimer la jouissance et pas de corps parfait. Tout semble pur, vrai, franc et à l'ère de l'Hollywoodisation clichée, cela fait un bien fou. La réalisation à l'élégance de ne pas réduire son personnage à un cliché de douloureuse oppression.
Photo Carla Juri, Stanley Weber Copyright Pandora Film
Il manque un peu d'art dans ce film, un arrêt plus franc sur les œuvres aurait été judicieux pour raconter la vie de celle qui n'existait qu'à travers ses propres coups de pinceaux. Pour autant, ce biopic est d'une force juste. Il réussit a parler des problèmes d'un siècle sans tomber dans la monstration pathétique et c'est vraiment une réussite.