©Epicentre Films
Confusion thématique
D’une fatalité abrupte, le titre Nobody’s Watching (Plus personne ne regarde) est par essence un aveu d’échec qui plane au dessus de Nico. Acteur d’une « telenovela » argentine, rêvant d’un cinéma plus mature, Nico est un combattant qui, avec persévérance, part à la conquête du regard des autres dans la ville-monde de New York qui se fait tour à tour porteuse d’espoir et cimetière d’illusions.
En nous faisant vivre pas à pas le cheminement de Nico d'un petit boulot à l'autre vers la survie, Julia Solomonoff scrute, avec une caméra documentaire naturaliste posée sur l’épaule de son personnage, la solitude urbaine des grandes villes et le profond désespoir qui s’en dégage. Pourtant, la réalisatrice entoure de thèmes universels (l’immigration, le dénigrement culturel, l’homosexualité refoulée) l'itinéraire personnel du personnage principal qui hachent le récit. Malheureusement, le semblant de cohérence qui se rattache au statut d'emblème des "dreamers" (cette nouvelle génération d’immigrés aux Etats-Unis qui veut toucher du doigt le rêve d’une vie meilleure) de Nico se confond, dans la construction narrative du film, avec les véritables motifs de son personnage. Le spectateur découvre ainsi à mi-film que la fuite de Nico est plus émotionnelle que politique lorsqu’il reçoit la visite d’un ancien amant dont il tente de se séparer.
La quête d’identité, par cet élément perturbateur affectif et les thèmes brassés dans ce long prologue, devient alors anecdotique. Pas un échec en soi mais une légère déception comparée à Inside Llewyn Davis des frères Cohen et sa construction moins linéaire, ou à Frances Ha de Noah Baumbach, à la thématique plus proche, qui parvient mieux à lier fond et forme sur l’errance de l’artiste dans un monde peu réceptif. Si elle pèche par sa volonté de trop en dire, Julia Solomonoff réussit dans Nobody's Watching à faire vivre sa mise en scène par ses interprètes principaux : Guillermo Pfening et New York.
©Epicentre Films
Faire de New York un miroir de l'homme
New York est dans Nobody's Watching le réceptacle émotionnel de Nico, reflétant son état d’esprit : illuminé lorsqu’il s’apprête à décrocher un casting (le parvis du Lincoln Center), ou sombre et amer face à une désillusion (quartiers abandonnés de Brooklyn). La réalisatrice filme ces deux personnages par concordance en jouant sur les échelles de plans et sur un très beau travail sur la focale que vient accentuer, par ses tons clairs et très peu contrastés, la lumière du chef opérateur Lucio Bonelli. Ces jeux rappellent The Visitor de Tom McCarthy, tant l’esthétique du film se meut au rythme du personnage principal, capable d'attirer l’attention d'un spectateur dont le regard est toujours guidé : comme l'illustre si bien cette scène où Nico joue avec l’objectif d’une caméra de surveillance dans une épicerie, n’hésitant pas à commettre un délit pour se faire remarquer.
Julia Solomonoff donne alors à Guillermo Pfening tous les éléments pour qu'il nous partage son voyage intérieur. Jamais dans l’hystérie ou la performance, l’acteur argentin fait sensation tout au long de Nobody's Watching, qu’il porte littéralement sur les épaules, avec son regard de grand garçon perdu à la recherche d'attention. Ce rapport à l’enfant en lui qui se refuse à accepter l'échec est explicitement travaillé dans la relation qu’il entretient avec le nourrisson qu’il garde, marqueur du temps qui passe et de l'adversité qui en découle. Choix qu’illustrent parfaitement les dernières séquences du film que la réalisatrice filme, non comme un échec, mais comme l'étape d’un long apprentissage.
Nobody’s Watching est un beau film indépendant qui oppose l’individu au monde qui l’entoure. Si la profusion thématique brouillonne le sujet initial, Julia Solomonoff livre par ses choix de mise en scène et la confiance qu’elle donne à Guillermo Pfening un regard perçant, plein de justesse sur les hommes et femmes qui tentent d’atteindre leur rêves.