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Lou Castel : "L’acteur c’est l’action en soi"

15 juillet 2016, par Untitled Magazine

Une tête d'enfant grincheux qui contraste avec le bleu pur de ses yeux. Ce même regard qui a vu défiler plus d'un demi-siècle de pellicule . A travers lui, cinéma et politique se lient dans une union parfois fratricide. Rencontre avec Lou Castel, comédien-militant et conscience vivante du cinéma.

Pourquoi pensez-vous qu’il est important de ressortir le film plus de 50 ans après la date initiale ?

Lou Castel : Je pense qu’il manquait du temps. On n’a pas vu son importance avant, le film méritait sans doute d’être plus connu. Je ne sais pas s’il y aura un grand intérêt pour le film. Mais peut-être que c’est moi qui me réveille. Que c’est mon approche du film qui a évolué. Peut-être que mon vécu a influencé ma vision du film. Un film comme Les poings dans les poches a sans doute besoin de 50 ans pour être digéré.

Les poings dans les poches fut votre premier grand rôle au cinéma, après avoir fait une courte apparition dans le Guépard de Visconti. Comment s'est passée votre collaboration avec Visconti ?

Lou Castel : Ce qui est drôle c’est que tout le monde me parle de mon rôle dans le film de Visconti alors que je moi je n’étais pas du tout acteur. C’était de la figuration spéciale. Mais ça me permet toujours de raconter cette anecdote ; la première fois que Visconti m’a remarqué sur le plateau lors du tournage, il m’a appelé, je ne sais pas ce qu’il voulait me proposer mais je lui ai seulement dit que j’avais fait mes 8 heures et que ma journée était terminée. Voilà, c’est ça Visconti.

Vous parliez Italien à cette époque ?

Lou Castel : Non j’ai appris l’Italien pendant le tournage de Les poings dans les poches. Parce que la personnalité de Bellocchio était telle que j’avais besoin de plonger dans ce personnage, dans son univers. C’est ce qui a créé ce besoin de m’approprier la culture Italienne, et là je deviens un acteur italien, malgré le fait que j’ai été doublé. Ce qui n’a d’ailleurs pas été un problème, bien au contraire. Ça a permis de compléter le personnage. Celui qui m’a doublé est d’ailleurs un grand comédien ; Raoul Grassilli. Mais tout cela intervient aussi lorsque l’on fabrique le film, puisque finalement un acteur dépend du montage.

A propos de Bellochio, vous avez tourné plusieurs fois avec lui. Est-ce que Les poings dans les poches a créé une forme de lien affectif entre vous ?

Lou Castel : Je crois que lui a toujours eu, sans que je le sache, beaucoup d’affection pour moi. Je pense qu’il m’a toujours gardé une place dans un coin de sa tête, donc quand il m’appelait, il était normal que je tourne pour lui. Je crois quand dans une de ses interviews il avait déclaré que j’étais en quelque sorte son alter ego. Bon; je ne sais pas si c’est tout à fait vrai mais enfin... Moi j’avais commencé à faire d’autres choix. Par exemple : dans Au nom du père, je devais tenir le rôle principal, ce qui lui semblait normal et j’ai dit "non, je veux faire le rôle de l’ouvrier" et c’est exactement à ce moment que s’invite le réel parce que Bellocchio ne me voyait pas faire ce rôle et pourtant j’ai insisté parce que derrière l’ouvrier il y la lutte des classes dans les années 60 donc ça dépasse le rôle.

Vous parlez d’alter ego. Marco Bellocchio a tourné les Poings dans les poches dans sa propre maison. On peut considérer que le personnage d’Alessandro a quelques similitudes avec le réalisateur. Il cherche à détruire l’oppression familiale mais a une attitude profondément fasciste. Au moment du tournage aviez-vous déjà ce que l’on peut appeler une conscience politique ? Comment avez-vous géré l’ambivalence du personnage principal ?

Lou Castel : Oui évidemment j’étais déjà très politisé. A cette époque le communisme à Rome c’était un peu n’importe quoi mais… Ma mère était très politisée et elle m’a beaucoup influencé. D’ailleurs elle n’a pas aimé Les poings dans les poches (rires), mais je comprends, parce qu’elle me voyait s’échapper du cercle familial. Pour revenir au personnage d’Alessandro, j’avais compris qu’il ne fallait pas seulement penser le personnage en termes cliniques, pas juste comme une critique, pas juste comme un personnage négatif. Il fallait ajouter une forme d’idéologie, de motivation personnelle à incarner ce personnage. Se convaincre en jouant, qu’Alessandro faisait partie de ma génération, coincée entre les allemands et les américains. Il fallait que je prête des idées fortes pour justifier ce personnage mais ce n'est pas de là que le personnage détient sa force. La vraie force d’Alessandro vient de Bellocchio, de ses choix, par exemple au niveau des mouvements physiques du personnage, comment il l’accompagne avec sa caméra, dans sa manière de le filmer, c’est tout un ensemble. Parce que la colère du personnage c’était avant tout celle de Bellochio et il savait la traduire dans un langage cinématographique.

Et donc finalement ce que l’on voit à l’écran, la colère d’Alessandro qui se manifeste à travers des crises, des mouvements du corps très spécifiques, tout ça c’est Bellocchio qui l’avait mis en place ?

Lou Castel : Non, les mouvements de la crise finale, ça non. J’avais juste demandé à Bellochio comment se manifestait une crise chez un épileptique et il m’avait donné une petite base de mouvements et après moi j’appliquais la méthode Stanislavski en me plongeant dans des souvenirs assez dramatiques notamment un où j’ai failli être tué. Et en tant qu’artiste j’essaye aussi de penser à une forme précise. Par exemple je pense à une forme circulaire et après je pense à un poisson qui est hors de l’eau mais sans le penser en avance. Parce que j’étais timide, et je demandais à Bellocchio « Alors j’y vais ? » et lui me disait « Mais oui ! vas-y ! » et ça me permettait de déclencher tout ce qui était possible, tout le processus et à partir de là tout devient plus que physique, cela devient psycho-physique justement. Et ce qui est intéressant c’est que je deviens peu à peu metteur en scène « interne » de la scène même. Je me souviens que la scène de la crise était terminée mais je continuais à pleurer et je mettais ma main sur mon visage comme ça (il mime le geste d’essuyer les larmes) pour donner un côté plus humain à Alessandro, parce que c’est avant tout un petit garçon qui pleure, et tout de suite Bellocchio est venu filmer ça. Et moi je suivais ça, ce côté mise en scène qu’on ne peut pas expliquer parce que l’acteur n’est évidemment pas un metteur en scène. L’acteur c’est l’action en soi. Si Bellocchio décide de me filmer entrain de courir sur un muret, même si j’adorais ça, c’est lui que le choisit. Et moi je cours sur ce muret avec toute mon énergie mais lui sait filmer ça.

Vous disiez que lors du tournage du Guépard, vous n’étiez pas acteur. A quel moment avez-vous commencé à vous sentir acteur ? 

Lou Castel : Bien plus que pendant Les poings dans les poches, c’était pendant le tournage de François d’Assise parce que là il fallait vraiment faire, penser, jouer ce saint qu’imaginait Liliana Cavani et donc il s'agissait vraiment de vouloir faire le saint de cette façon-là, il n'y avait rien d’automatique contrairement au film de Bellocchio. Je me souviens que pendant Les poings dans les poches, lors de la scène de l’enterrement, Bellochio s’était allongé sur le cercueil, au-dessus de l’actrice qui jouait la mère morte et avait entamé une série de pompes. Et moi je vois tout de suite que c’est ce truc qu’il fallait faire, et c’est là que je rejoins cette idée de metteur en scène interne, parce que je vois que c’est ce mouvement que je voulais insuffler au personnage d’Alessandro. Mais il n’a pas tourné ça, parce que l’actrice qui incarnait le personnage de la mère était très catholique, et Bellocchio a cédé.

Mais vous pensez que Bellocchio, tout comme vous, avait senti que c’était la chose à faire ?

Lou Castel : Je pense que non puisqu’il s’est laissé persuader par l’actrice. Il aurait pu lui dire « Non je fais ce que je veux » donc il a été influencé, par moralisme je suppose, alors que c’était incroyable, c’était très artistique, avec le cercueil, les draps blancs. On pouvait jouer ça de mille façons. C’était du jamais vu. Evidemment les gens auraient pensé inceste mais on s’en fout parce que c’était avant tout très artistique.

Pourtant toute la scène de l’enterrement de la mère peut, encore aujourd’hui, apparaître comme immorale.

Lou Castel : Oui mais lui s’est limité à cette scène ou je mets mes pieds sur le cercueil. Aux rires aussi. D’ailleurs il y eut un vrai fou-rire lors du tournage de cette scène mais hors champs et lorsqu’il m’a demandé de rire à nouveau face caméra j’en ai été incapable. Ce qui est amusant puisque Bellocchio m’a choisi comme acteur principal du film sur un fou-rire.

D’ailleurs, comment s’est déroulée votre rencontre avec Bellocchio ?

Lou Castel : C’était pendant un essai, mais lui n’était pas convaincu, il disait que j’étais trop calme, trop lent. Et puis y’a eu un moment de réel. Bellocchio, pendant l’essai lance l’action, il y a un grand silence et puis j’entends un « clic » et c’était en fait le cameraman qui avait oublié de brancher la caméra et là  fou rire général, parce qu’il y avait toute cette intensité, très sérieuse, très professionnelle qui s’effondrait d'un coup. Et heureusement que Bellocchio a toujours su conserver cette sorte d’ironie sur les choses. Comme lorsque pendant la scène de la balle, je n’arrivais pas à rire, il me disait toujours « Mais pourquoi es-tu toujours aussi sérieux » et sa voix, sa façon de dire les choses suffisait à me faire rire et après c’était à moi de savoir conserver cette énergie. C’était tout le temps ça, savoir comment intégrer ces moments « off » dans les scènes.

Où est ce que vous étiez en 68 ?

Lou Castel : A Rome, mais à cette époque, j’avais décidé d’arrêter le métier d’acteur pour devenir militant.

Ce même militantisme qui vous a conduit à être exilé d’Italie. Cet exil, vous l’avez vécu en tant que comédien ou en tant que militant ?

Lou Castel : Moi j’étais un militant pur et dur. Ce n’était pas l’acteur qui se solidarise au militant mais chacun de mes choix était fait en tant que militant. Pas comme d’autres dont les choix en tant que communiste étaient guidés par l’acteur. Moi c’était un choix extrême. Mais c’est quand même une bonne question parce que lorsque j’étais dans le sud de l’Italie avec les sections, les paysans, les ouvriers, j’étais dans l’organisation mais eux me disaient toujours « Retourne à Rome faire tes films » donc c’était un conflit interne très fort.

Donc à cette période c’est vraiment le militant qui a pris le dessus sur l’acteur ?

Lou Castel : C'est si vrai que je suis venu jusqu’ici faire des films pour financer le militant.

Et donc, après, "Paris" !

Lou Castel : Oui, et Paris a relancé le côté acteur puisque j’ai eu beaucoup de propositions. Mais moi je restais toujours très dogmatique (rires). J’avais fait le choix de continuer à rester militant en Italie et être acteur me permettait en principe d’être accepté légalement en Italie. Et je me souviens de cette fois où il y avait plein de cinéastes qui avaient occupé un poste de police italien pour soutenir mon retour, il y avait Bertolucci qui tapait du poing sur la table et hurlait « Mais il a été expulsé » et le chef de police disait « Mais pour nous il n’a pas été expulsé » parce qu’il existait cette loi fasciste qui faisait que tu n’avais pas besoin de déclarer les expulsions par écrit. Donc ils m’avaient déclaré comme élément indésirable verbalement mais pouvaient très bien démentir ensuite, ce qui était très violent. Je me souviens qu'ils m’avaient accompagné jusque dans l’avion, en me traitant comme un terroriste, en me posant des questions pour savoir si j’étais armé et m’avaient expulsé jusqu'à Stockholm. J’étais arrivé en plein hiver, je ne savais pas où j’étais. Heureusement, c'était 68 aussi à Stockholm donc tout de suite j’ai pu me sentir chez moi. Et ensuite Wenders m’a appelé pour tourner.

Est-ce que finalement ce côté militant extrême a eu une influence sur votre manière de jouer ?

Lou Castel : Oui bien sûr. Et si j’ai joué ensuite ces personnages de terroriste à l’écran, c’était ensuite pour faire le saut, pour vraiment être dans l’action (rires). Mais donc ça n’allait pas et finalement les camarades m’ont dit « Non mais ce n’est pas comme ça, tu ne vas pas faire la lutte armée parce que tu t’ennuies en tant qu’acteur ». Donc je suis content qu’ils m’aient donné ce conseil. Mais c’est quand même ces dix années que j’appelle les années pures et dures. Pures plus que dures d’ailleurs (rires). Entre 69 et 79 parce que l’organisation s’est ensuite dissoute. Et ensuite c’est une autre crise de perte d’identité à Los Angeles où je voulais juste faire de l’argent parce que j’étais complètement aliéné (rires). Je voulais changer de nom, m’appelais Henri Bache, faire de la photo comme si je n’avais jamais été acteur (rires).

Vous parlez de perte d’identité. Vous-même êtes né en Colombie, à Bogota d’une mère irlandaise et d’un père suédois. Est-ce que cela a joué dans la construction de votre identité ?

Lou Castel : En fait oui mais surtout sur l’imaginaire. De la Colombie, je me souviens seulement de la jungle. J’avais 4 ans, j’étais sur un bateau. Donc voilà, ce sont des images fortes j’imagine dans la construction de l’imaginaire.

Est-ce que c’est grâce à cet aspect multi-identitaire que vous avez pu jouer dans un cinéma Européen, aussi bien en Italie, qu'en France ou encore en Allemagne ?

Lou Castel : Non je dirais avant tout que ce sont les amitiés avec les metteurs en scène indépendamment de leurs nationalités. Que ce soit Garrel, Wenders ou Fassbinder il s'agissait avant tout de l’amitié qu’ils m’inspiraient. Et puis c’est aussi lié aux langues que j’ai apprises pays après pays. Donc quand on me demande en quelle langue je pense je ne sais pas.

Mais quelle est votre langue maternelle ?

Lou Castel : Théoriquement ça devrait être l’anglais parce que ma mère parlait l’anglais. J’écris en anglais d’ailleurs mais parce que c’est très simple. Je ne peux pas faire d’erreurs grammaticales. C’est très logique. Je viens juste de finir d’écrire une recherche, qui m’a occupé ces dernières années, sur ce que j’appelle le tâtonnement.

C’est quoi le tâtonnement ?

Lou Castel : C’est la raison pour laquelle, quand je reconstruis des objets qui sont utiles, ils relancent une toute autre utilisation. C’est ce qui me surprend. C’est ce que j’appelle « biomorphe ». C’est la perception qui se déclenche suite à l’objet. Puisque quand j’ai fini l’objet, il va s’invertir, se mettre dans une autre position et il déclenche quelque chose que je désirais mais que je n’avais pas forcément pensé. C’est ça le tâtonnement. Mais je vais très loin puisque selon moi le tâtonnement va même à l’inverse de la conscience.

Enfin, selon vous, qu’est ce qui caractérise le plus le cinéma Français ?

Lou Castel : C’est trop parlé. Il n’y a pas plus le jeu cinématographique, physique. C’est plus ça. Peut-être que ça n’a jamais existé, je ne sais pas.

Une dernière question pour les fans de Jean-Pierre Léaud. Qu’est-ce que ça fait de jouer avec lui ?

Lou Castel : Ça fait peur. Il me faisait peur, je lui ai dit d’ailleurs (rires). Il a une telle tension physique sur le plateau que l’on n’ose même pas bouger le petit doigt donc ça fait peur. Mais j’étais très inventif quand j’étais avec lui. On était tous les deux très créatifs. Sur le tournage de La naissance de l’amour j’avais même créé une sorte de GPS des déplacements des comédiens sur le tournage. J’étais vraiment très concentré sur ce personnage et sur les rapports avec Garrel. Mais ça ne m’a pas empêché de dire à Garrel « Ne sois pas en compétition », ce qui était en soi une erreur, car tautologique. Si je lui dis « Ne sois pas en compétition avec moi » c’est que quelque part en lui disant je suis déjà dans un rapport de force. Et lui était furieux, il n’a pas compris pourquoi j’instaurais ça, il voulait presque me sauter dessus.




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