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Geoffrey Couanon, réalisateur de Douce France : “Il faut remettre autour de la table les différents acteurs"

22 juin 2021, par Untitled Magazine

Avec son premier documentaire radio “On vous écoute travailler”, Geoffrey Couanon avait produit un outil pédagogique à destination d’adolescents pour les questionner sur leur orientation et le sens de leur futur travail. Animateur et éducateur en quartiers populaires, il réitère l’expérience avec “Douce France”, où il accompagne des jeunes dans des questionnements de vie sur fond de projet d’urbanisme. Pour nous, il revient sur son expérience.

Douce France est un documentaire qui suit trois jeunes de Villepinte (93) dans une enquête sur EuropaCity, un projet d’urbanisation des terres agricoles de Gonesse. En allant à la rencontre des acteurs du territoire et du projet, ils.elles posent la question de ce qu’on produit en tant que société.

Est-ce que tu peux présenter en quelques phrases ton film ?

Pour moi c’est l’histoire de lycéens de banlieue parisienne dans le 93, qui nous embarquent dans une enquête assez incroyable, sur EuropaCity, un gigantesque projet de parc de loisirs, qui prévoit d’urbaniser d’importantes terres agricoles qui sont proches de chez eux mais dont ils n’ont pas connaissance.

Ils nous emmènent dans une sacrée aventure à la rencontre d’habitants de leur quartier, de promoteurs immobiliers, d’agriculteurs… Ce qui est assez énorme c’est que ce sont des jeunes du 93 qui vont jusqu’à l’Assemblée Nationale, la maison du peuple, où on fait les lois et où ils ne s’imaginaient pas arriver. 

C’est un film qui parle à chacun d’entre nous, qui nous touche tous : sur la question du travail, sur ce qu’on fabrique dans nos vies, ce qu’on fait au quotidien. Bien sûr ça a un sens bien plus exacerbé aujourd’hui, avec la période de Covid, où on est restés chacun chez nous, cloîtrés, derrière des écrans, en visio, et où on se demande ce qu’on fabrique.

L’urbanisme c’est une discipline très complexe quand on n’y gravite pas. C’est difficile d’arriver à se positionner en prenant en compte tout ce qui compose les projets. Comment on filme ça ? 

Ce qui est beau, c’est qu’on est dans un film qui nous prend à bras le corps. On est embarqués dans une aventure, on est dans le quotidien de jeunes qui mangent McDo, KFC, tous les jours ; qui font du shopping… 

On filme des jeunes qui se posent les questions les plus basiques et qui n’y vont pas par quatre chemins pour dire : « je comprends rien », « je sais pas », « j’ai envie de faire du ski » et ça c’est génial, c’est ce que je cherche. 

Tout le monde va vivre quelque chose dans ce film et appréhender l’urbanisation, les espaces urbains et les espaces ruraux, les espaces commerciaux. 

C’est un film qui remet autour de la table les gens autour de leurs terres et leur territoire, pas un truc chiant avec des experts. On comprend comment tout l’urbanisme fonctionne. 

©Jour2fête

Est-ce qu’au tout début, au moment de la conception du film, tu avais déjà en tête que ce parti pris d’aller à la rencontre des jeunes, allait pouvoir vulgariser beaucoup mieux qu’avec un autre type de population ?

Dans mon travail, je suis aussi animateur et éducateur en quartiers populaires, avec des enfants et des adultes. Je sais que les adolescents posent des questions simples qui peuvent paraître naïves mais authentiques et droit au but.

Est-ce que la volonté de départ c’était de sensibiliser, à la fois des personnes sans avis sur ces projets et sensibiliser voire convaincre des personnes en faveur de projets urbains tels qu’EuropaCity ?

Moi ce que j’aime bien, c’est m’amuser. Il n’y avait pas d’intention de convaincre, mais il y avait l’intention de poser des questions cruciales dans nos vies. 

Ce qui est sûr c’est que le 93, le département le plus pauvre de France, le plus jeune de France, où il y a le plus de surface commerciale par habitants, avec les sols les plus profonds de la région, de France, voire d’Europe, concentre tous les enjeux de notre époque. 

Des enjeux essentiels : on voit bien que l’écologie a du mal à se démocratiser, on voit bien qu’on a du mal à rendre accessible au plus grand nombre ces questionnements et on voit la récupération politique et la récupération des entreprises. On caricature pour pas que ça démocratise trop. On schématise, on complexifie les choses alors qu’en fait c’est beaucoup plus simple que ça. Ce que je crois, c’est que dans ce film, on simplifie les choses pour rendre accessible au plus grand nombre. Et ça rend heureux.

Il faut dire que l’écologie ça fait du bien, quand on ressort du film on ressort avec l’envie de faire, le sourire et l’envie d’agir. L’idée ce n’était pas de convaincre mais de voir que quand on agit sur son territoire ça fait du bien. 

©Elzévir Films - De Deux Choses Lune

Dans le film Jennyfer dit : « On a jamais les mêmes arguments, on sait jamais quoi penser ». Or, on perçoit très bien et de façon très fluide, l’évolution de positionnement de Sami, Amina, et Jennyfer au fil du film, malgré leurs hésitations. Comment tu as réussi à restituer, pour chacun.e d’entre elles.eux, leur parcours de pensée de façon aussi fluide ? 

Ce qui est intéressant, ce n’est pas uniquement toutes les rencontres mais tous les à-côtés, quand ils sont dans les transports et qu’ils discutent. Il y a cette séquence où ils sortent de l’entretien avec la députée, qui est révélatrice de tout : il y a du débat, ils ne sont pas d’accord, et ils se font évoluer. On voit sur le visage de Jennyfer qu’elle comprend qu’elle s’est fait avoir. Sami a réussi à pointer comment on peut se faire avoir par des discours et apparences.

Le film a été tourné à partir de 2017 et pendant 2 ans. Qu’est-ce que les jeunes font aujourd’hui ?

Ils sont actuellement en études. Jennyfer est en DUT en gestion des entreprises, elle se pose encore beaucoup de question sur l’Economie Sociale et Solidaire. Amina étudie en droit et veut travailler auprès des enfants et ados mais aussi intéressée par le droit lié à l’environnement. Sami avait commencé des études d’économie à la Sorbonne et se pose des questions sur l’économie et la consommation.

Ce qui a le plus changé pour eux, c’est leur rapport à la consommation. C’est un déclic énorme. Sami disait qu’il n’allait plus chez McDo. Ce n’est pas idéologique mais y a des déclics.

©Jour2fête

Tu évoques des animations territoriales que tu fais dans le cadre de projections du film, c’est ouvert à tous publics ?

Le leitmotiv du film c’est remettre autour de la table des acteurs qui ont des visions différentes. Le but ce n’est pas de se retrouver avec des acteurs tous impliqués dans la transition, ça ne m’intéresse pas. Le but c’est de proposer un nouveau lien au territoire et de proposer de nouvelles perspectives, en mettant autour de la table les personnes qui ont le pouvoir : les collectivités, les villes, des représentants des chambres de commerce et de l’industrie, des élus, les adjoints à l’urbanisme. C’est ce qui se passe dans le film, on crée du débat et c’est à ce moment qu’il y a des choses qui se passent.

Je suis persuadé que le cinéma est un vecteur profond de changements de société. La bataille est culturelle. Bien sûr elle se transcrit dans les lois, les débats politiques, mais c’est parce que l’opinion évolue, celle des citoyens et de ceux qui décident et prescrivent. 

On veut que la diffusion soit participative, le film sort le 16 juin prochain dans quelques villes, mais que ce soit le point de départ dans toutes les régions. Pour cela, on a besoin de gens qui s’en font l’écho dans les territoires. Nous proposons plusieurs outils gratuits, disponibles ici.

Douce France de Geoffrey Couanon, sortie le 16 juin 2021 Notre critique du film à retrouver ici

Si Emmanuel Macron a annoncé en 2019 l’abandon du projet EuropaCity, les terres du triangle de Gonesse sont toujours l’objet de velléités d’urbanisation. Le 7 mai 2021, le Premier Ministre Jean Castex a confirmé l’urbanisation des terres de Gonesse. Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, est favorable au projet. Cette alliance LREM-LR est en faveur d’un projet qui prévoit la construction d’une gare sur les terres agricoles, la construction d’une cité scolaire internationale et un « second Rungis » identifié comme favorisant les circuits courts. 

Face à l’historique du projet, on comprend la communication quasiment absente sur ce nouveau projet, taxé de social-washing et green-washing : la gare y est par exemple éloignée des habitations actuelles. Les porteurs du projet prévoient notamment l’urbanisation de 110 hectares du Triangle des terres qui comptent parmi les plus fertiles de France.

 


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