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Critique : "Les Saisons", un film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud

30 janvier 2016, par Untitled Magazine

Après avoir exploré les profondeurs océaniques et vire-volté autour du globe avec les oiseaux migrateurs, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud reviennent cette année avec un nouveau film au cadre plus familier et aux couleurs plus verdoyantes. Les Saisons étudie avec une sensibilité rare la longue histoire partagée par la nature et par les Hommes en Europe, sans a priori ni retours prédicateurs. On est donc plongés dans les 20 000 ans d'histoire des animaux dans la grande forêt qui a recouvert l'Europe, après plus 80 000 ans d'ère glaciaire : les animaux seuls, les animaux en contact avec un Homme égal chasseur-cueilleur, enfin l'Homme supérieur et destructeur forcené. Une cohabitation difficile, une cohabitation impossible ?

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Une désarmante simplicité ternaire pourrait suffire à résumer le film : peu de commentaires, peu d'hommes, beaucoup de nature. Le parti pris est clair, il ne s'agit pas de faire comprendre tous les tenants qui régissent la vie naturelle mais bien de montrer à quoi pouvait ressembler la nature, brute et maîtresse, il y a plusieurs milliers d'années (le film montre l'évolution terrestre sur plus de 20 000 ans). Le point de vue caméra refuse l'anthropocentrisme pour laisser place au point de vue supposé des animaux, ce qui permet de décaler le regard que l'on a pu porter sur l'histoire de la planète jusqu'ici. Et c'est bien là tout l'intérêt, et tout le pouvoir de ce documentaire inédit.

Malgré une courte introduction qui tombe dans l'écueil personnifiant, le film commence très bien : grandes étendues enneigées, impressionnantes chutes glaciaires, (dont la force est soulignée par une illustration sonore d'une qualité incroyable) et épaisse migrations de rennes. On a en pour sa rétine, et le passage de paysages glacés aux paysages forestiers plus verdoyants se fait avec douceur, notamment grâce à l'intermédiaire d'une narration qui se fait habilement oublier. L'on se retrouve donc complètement immergés dans une forêt qui revêt les allures d'une salle d'opéra, dont le concert phare permet un dialogue improbable entre verdiers, renards, lynxs, buffles, loups et chevaux. Les caméras sont si proches et les micros si performants qu'on s'y croirait vraiment : il devient presque naturel de se prendre pour l'un de ces libres animaux forestiers que l'on admire à l'écran, et aux côtés desquels on gambade avec plaisir le temps du film.

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Le documentaire atteint son but avec douceur, en nourrissant le spectateur de prises de vue tout à fait incroyables, jamais vues encore au cinéma : on suit par exemple le vol d'un scarabée de très très près (on entend même le bruit de ses ailes bruisser ! ), on devient le témoin privilégié d'une folle course poursuite entre chevaux de Przewalski et loups d'Europe, et l'on reste bouche bée devant les puissants combats d'ours, de cerfs et de chevaux (bien meilleurs que les combats humains de Raging Bull ). Les mots manquent face à ce spectacle inconnu, et malgré le naturel des scènes montrées, certains effets ne manquent pas de révéler la patte humaine du réalisateur : une biche qui s'abreuve à un point d'eau surplombé d'une paire de bois de cerfs dévitalisés (jolie poésie sur le cycle de la vie), des gros plans sur les crocs ensanglantés des loups et sur les yeux innocents du sanglier en détresse (classique...), une musique qui frôle parfois le cinéma d'aventure, poursuivant par exemple la migration des cerfs d'envolées lyriques... Ces quelques petits couacs ne ternissent en rien la qualité du documentaire qui reste honnête et évite une scénarisation ridicule. Certaines scènes sont d'ailleurs très drôles, et l'on se souvient en riant des chouettes danseuses et de l'étrange bruit de broyeur à ordures produit par le Grand Cormoran.

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Ce qui fait aussi l'importance de ce documentaire, c'est que les scènes qui ont été tournées ne pourront jamais se produire dans notre environnement actuel : les animaux ont si bien intégré la peur des Hommes qu'ils fuient à des distances insensées et que leurs comportements en ont été profondément modifiés. Pour tourner le film et obtenir des animaux un comportement originel, il a fallu pour l'équipe faire appel à des animaux dits « imprégnés ». Un animal est dit imprégné lorsque dès tout petit, il est habitué à évoluer avec des groupes d'êtres humains le côtoyant de près. De ce fait, l'animal retrouve des habitudes de coexistence relativement pacifiques qu'il pouvait entretenir dans le passé avec l'Homme. Le film appelle doucement à une réconciliation des Hommes avec la nature, après avoir montré la naissance de la campagne, une cohabitation de plus en plus difficile et, enfin, la destruction de l'écosystème naturel par l'industrialisation. Le prosélytisme n'est pas le propos du film, et les très rares incursions narratives rappellent avec une certaine neutralité des faits trop souvent méconnus : une image du Paris actuel, et, en voix off, on nous apprend « qu'il y a 10 000 ans se tenait ici une forêt sauvage ».

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Si l'on pouvait donc craindre la chute du documentaire dans l'accumulation classique de clichés anthropomorphiques et de barbantes leçons de morale, on sort au contraire touchés par une réalisation pacifique et dynamique, éblouis par le caractère inédit des scènes auxquelles il nous est permis d'assister, « en place favori » comme nous le dirait un Jacques Perrin souriant.

Pour plus d'informations, sur les animaux montrés à l'écran et sur le film, c'est ici : plusieurs livres ont été écrits (dont certains pour les enfants), un jeu et une application, Morphosis, a été spécialement créée pour accompagner le film d'un support plus éducatif et interactif.

https://youtu.be/ZJFXDiGtwn0


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