Cela fait depuis 2014 que les six corps mis en scène par Yoann Bourgeois sont confrontés à la gravité terrestre et à la force centrifuge. Celui qui tombe repart pour une nouvelle tournée. À voir en France et en Espagne.
Spectacle qui joue avec les limites autant physiques que qualificatives - sommes-nous face à de la danse ou à du cirque ? - Celui qui tombe nous présente une sorte d’humanité minimale faite de six corps - trois femmes et trois hommes. Ceux-ci ne vont pas cesser de tester leurs capacités physiques mais aussi d’écoute. Captifs d’un plateau de bois de 36m2 qui possède sa propre structure et les lois physiques qui en découlent, ils vont peu à peu rentrer dans un dialogue corporel les uns avec les autres mais aussi avec ce vigoureux élément.
Six personnages en quête d’un point d’équilibre
Sous les craquements métalliques de treuils, un plateau de bois descend peu à peu. Venu d’entre les poutres du plafond de la scène, il s’incline doucement vers nous. Des corps apparaissent alors. Allongés sur ce drôle d’ascenseur, ils sont sujets à la gravité terrestre, à mesure que la partie avant se baisse. L’un glisse, puis un autre, puis deux autres. Certains se rencontrent alors que d’autres frôlent le précipice et malgré l’absence de vie de ces chairs, personne ne tombe. L’arrière du plateau rattrapant son retard, parvient au même niveau que l’avant, proposant alors une horizontalité que nous allons rapidement découvrir précaire. Les six corps se réveillent peu à peu, tâtonnants à la recherche de leur point d’équilibre. Des bruits métalliques se font à nouveau entendre (des micros ont été placé au niveau du plateau, témoins de son existence physique). Jouant à nouveau de l’avant et de l’arrière mais aussi des angles du plateau, la stabilité est mise à mal. Les figures se lèvent, chutent, se redressent, s’aident les uns et les autres au risque de tomber de nouveau. Ce microcosme d’humanité fait ses premiers pas, tentant simultanément d’apprivoiser les corps qui la constituent mais aussi l’espace qui l’accueille. Les soubresauts du plateau se calment alors pour revenir à une horizontalité viable.
La tranquillité physique est de courte durée, cet espace d’accueil n’ayant pas encore révélé toutes ses fantaisies mouvantes. Cherchant alors à affirmer leurs capacités d’adaptabilité et leur volonté de dialogue, les figures se rassemblent et se penchent doucement vers le centre de cet espace, comme pour prêter l’oreille à ses envies.
crédits images : Géraldine Aresteanu
Vertige de l’écoute
Le jeu se fait d’autant plus visible. Les figures épousant ainsi le mouvement de cet univers, on en vient à se demander qui du plateau ou des corps entraînent l’autre. Parvenant dès-lors à mettre à jour une incidence mutuelle entre eux et l’espace, ils se font entreprenant. Une organisation équilibrée des corps donne naissance à une nouvelle forme de cohabitation. Dès lors, nous nous faisons observateurs attentifs et fascinés des nombreuses tentatives et réussites de dialogues entre ces figures et leur espace de vie. Que celles-ci soient dans les airs à de nombreux mètres au dessus du sol (frissons et émerveillement combinés) ou bien, à l’inverse, à même le sol (crainte et amusement) sous le plateau devenu balançoire géante. À l’image de ce chant entonné par tous et dans toutes sortes de situations physiques, le spectacle avance dans l’affirmation d’une stimulante et inébranlable harmonie.
Construit autour de l’éloquence physique et de références populaires (n’y aurait-il pas un côté Toy Story à ces corps passées de l’inactivité totale du début à l’insatiable curiosité et à l’énergique entraide ? ou bien un soupçon de Koh-Lanta ?), Yoann Bourgeois parvient à évoquer malignement notre rapport à l’espace. Réaffirmés terriens, nous sortons de la salle entourés mais aussi acteurs de cette interdépendance entre la terre et son humanité.
Celui qui tombe Conception, mise en scène, et scénographie Yoann Bourgeois Assistance artistique durant la création Marie Fonte Interprètes Julien Cramillet, Kerem Gelebek, Jean-Yves Phuong, Sarah Silverblatt-Buser, Marie Vaudin, Francesca Ziviani
À voir au Teatro Central, Séville les 21 et 22 février, au Teatros del Canal, Madrid les 6 et 7 mars, aux Espaces Pluriels Pau les 15 et 16 avril, à La Comédie de Saint-Etienne les 5 et 6 mai