L'Orangerie propose jusqu'au 30 janvier 2017 une exposition historique. "La peinture américaine des années 1930, Age of anxiety" nous plonge dans un temps fondateur où les troubles sociaux et politiques chamboulèrent l'ordre des choses. Retour sur la genèse de la création moderne.
L'exposition La peinture américaine des années 1930, age of anxiety revient sur la période sombre de la Grande Dépression, un temps où l'Amérique est meurtrie par une crise économique sans précédent. En 1929, le président Herbert Hoover est au pouvoir. La bourse de New York s'effondre et laisse le pays se débattre avec d'affreux tourments économiques. Le chômage atteint plus de 24% en 1933 et des milliers d'américains se retrouvent sans emplois, sans foyers et sans argent. Les perspectives d'avenir s'essoufflent et l'idée de progrès n'enthousiasme plus personne. Les américains perdent espoir. Les peintres de cette époque retranscrivent dans leurs œuvres la morosité, la colère et les peurs ambiantes. S'ajoute à cela la fraction entre l'Amérique du Sud et l'Amérique du Nord qui trouble un peu plus les repères identitaires. Le musée de l'Orangerie propose une exposition très bien documentée, qui nous emmène dans les réflexions et dans les observations de ceux qui ont su capter les agitations de leurs temps. Un moment fascinant qui trouve d'étranges échos aux temps actuels.
Georgia O’Keeffe (1887-1986) Red Hills with Flowers (Collines rouges et fleurs), 1937 Huile sur toile, 50.8 x 63.5 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, legs d’Hortense Henry Prosser © The Art Institute of Chicago © Georgia O’Keeffe Museum / ADAGP Paris 2016
Recherche d'identité
Aux périodes sombres répondent souvent des pertes de repères. Le peuple américain, qui manque de ressource, se tourne vers ce qu'il connait, vers ce qui lui est élémentaire et dont il ne peut se passer : la terre. Si l'industrie, toujours bien présente, reste la marche entamée vers le futur, une large partie de la population place son renouveau dans la culture des champs. Un schisme s'opère entre une envie, un espoir replacé dans l'essor industriel récemment ébranlé (Scheler, Suspended Power) et le retour aux origines, à cette terre nourricière qui, si elle a également souffert de la situation économique, s'avère être une source d'espérance (Wood, Fall Plowing). En ville, l'esprit est à l'évasion. Les citadins chantent, organisent des concours de danse jusqu'au bout de la nuit. Ils s'évadent, fuient leur quotidien et se jettent au théâtre et au cinéma. Promettant un monde meilleur, la machine du star system se lance, façonnée par les journaux. Tout est bon pour s'extirper de la morosité économique ambiante. L'art adopte alors une position ambivalente : s'il montre l'enfer, il offre une évasion salvatrice.
Thomas Hart Benton (1889-1975) Cotton Pickers (Cueilleurs de coton), 1945 Huile sur toile, 81.3 x 121.9 cm Chicago, The Art Institute of Chicago © The Art Institute of Chicago © T.H. and R.P. Benton Testamentary Trusts / ADAGP Paris 2016
Charles Demuth (1883-1935) …And the Home of the Brave (… Et la patrie des braves), 1931 Huile et graphite sur toile, 74.8 x 59.7 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, Alfred Stieglitz Collection, don de Georgia O'Keeffe © The Art Institute of Chicago
Vers une nouvelle forme picturale
L'art des années 30 en Amérique puise ses influences dans les avant-gardes européennes. Entre illustration et portrait d'une réalité déformée, les styles picturaux sont divers. Ils servent davantage un besoin d'expression qu'une quelconque appartenance à un mouvement. Pour représenter la période de la Grande Dépression, certains se tournent vers le surréalisme (Jones, Lundeberg...) ou préfère s'approcher d'une sorte de réalisme stylisé (Wood, Benton, Neel...). La voix qui se dessinera bientôt oscille entre abstraction (Poloke) et réalisme (Hooper). Deux monstres de l'art moderne qui clôture l'exposition marquant l'entrée dans une nouvelle aire.
Ivan Albright (1897-1983) Self-Portrait (Autoportrait), 1935 Huile sur toile, 77.2 x 50.5 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, Mary and Earle Ludgin Collection © The Art Institute of Chicago
La peinture des années 1930, age of anxiety est une exposition passionnante qui dépeint un malaise que l'on pourrait transposer à ce que nous vivons aujourd'hui : perte de repères identitaires, dénonciation des horreurs, stigmatisations, retour aux traditions et autres maux doux. Les oeuvres sont sublimes, la scénographie claire et les explications bien fournies, une véritable réussite !
-- La peinture américaine des années 1930, the age of Anxiety Jusqu'au 30 janvier 2017 Musée de l'Orangerie, Jardin des Tuileries, 75001 Paris