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Plastic Heart : Le synthétique au cœur de l'humain

27 janvier 2023, par Marie Constant

Le Centre Culturel Canadien de Paris confronte le visiteur au plastique à travers l’exposition « Plastic Heart, Le synthétique au cœur de l’humain » jusqu’au 24 mars 2023. L’exposition est portée par le Synthetic Collective, une collaboration interdisciplinaire, pluriartistique et scientifique, visant à documenter la complexité de la pollution liée au plastique. Posant plus de questions qu’elle n’en résout, l’exposition amène le visiteur à prendre du recul sur ce qu’il croit savoir du plastique, tout en nuance.

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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien

Pollution plastique : états de fait 

Le collectif canadien se consacre principalement à l’étude de la pollution plastique des grands lacs (Canada) et a donc réalisé l’œuvre « pivot » de l’exposition Thank you for your industrial Partners (2020). Elle est constituée de cordes de délimitation et de sacs de déchets en polyéthylène fondus et moulus qui ont des airs de pieux en marbre, poignardant les grands lacs. La longueur des pieux indique le taux de pollution plus ou moins élevé.

Face à cette œuvre, The Hell of Copper (2008), une vue tristement célèbre de décharge en Afrique réalisée par Nyaba Leon Ouedraogo, cherche à sensibiliser le public aux problématiques sanitaires, environnementales et colonialistes illustrées par l’exploitation des jeunes travailleurs africains dans cet « enfer du cuivre. »

Le synthétique au cœur de l’art

Le souhait de cette exposition n’est pas la culpabilisation ou de sonner une alarme, elle porte une réflexion globale sur ce qu’est le plastique, non seulement dans nos vies en tant que consommateurs, mais également dans le monde, dans la nature, en tant que vivants qui l’habitent.

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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien


Les artistes autochtones, kanien’kehá :ka ou Anishinaabe, s’inspirent de leurs traditions pour créer des œuvres amenant à la réflexion, Hannah Claus créé une célébration de l’eau à travers une œuvre élégante en suspend et Nico Williams propose un travail de broderie traditionnelle.

Broderie, qui est une thématique que l’on retrouve au fil de l’exposition. En effet, la broderie est un geste de réparation, de recyclage à la main. J. Blackwell l’utilise dans son œuvre singulière Plastic Basket (B204) (2013) : c’est simplement un sac en plastique qu’il a « réparé » par la broderie. Le plastique comme support de son geste se désagrège au même rythme qu’il le répare grâce au fil. Une œuvre modeste mais qui porte en elle une certaine ambivalence et possède quelque chose de fascinant.

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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien

Détourner le plastique, recréer à partir de lui, le recycler à travers l’art, s’inscrit dans la pratique de Kelly Jazvac. Elle propose ici Semon’s Seaman (2020-21), la réinterprétation d’une bâche publicitaire monstrueuse par sa taille. La thématique de la montre a été choisie pour symboliser l’urgence, mais le chronomètre, malgré les branchies qu’elle lui a créé par la découpe du plastique, semble se noyer.

Tout comme Plastic Basket (B204), cette œuvre renvoie à l’utilisation à outrance du plastique par la publicité, par les industries et par le modèle de surconsommation suivi par la société actuelle.

D’ailleurs, que restera-t-il de cette société ? C’est ce que se demande Amy Brener au travers de l’œuvre Omni-kit (menthe) (2017), vestige futuriste de notre civilisation composé de métal, de claviers d’ordinateur, de fleurs en plastique récupérés… Mausolée transparent, à l’image des fossiles d’insectes préservés dans l’ambre, il laisse la question en suspens : que penseront les archéologues du futur ?


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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien

Ecolo, jusque dans la scéno !

Les œuvres jouent avec l’économie circulaire, réutilisant bâches publicitaires ou déchets, réinventant artistiquement les utilisations du plastiques, mais la scénographie de l’exposition elle-même porte dans son ADN cette volonté de recyclage.

La signalétique, comprenant le titre de l’exposition ou les indications, est composée de bâches en plastiques publicitaires recyclées et découpées. Les cartels, quant à eux, sont entièrement écrits à la main (les noms des artistes et les logos aussi !) En effet, l’élégant vinyle collant que nous connaissons tous est un plastique polluant et l’impression des cartels produits aussi quantité de déchets.

Il faut donc de la patience pour créer cette scénographie mais aussi pour la lire en tant que visiteur. Mais quoi de mieux que quand la forme et le fond d’une thématique se répondent aussi bien, se fondent l’un dans l’autre ?

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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien

Dans cette scénographie, une œuvre surprend : des biographies d’activistes écologistes, tapés à la machine, sont présentées comme des cartels. C’est l’œuvre Chemicals of Mutual Concern (2020) de Heather Davis et Kirsty Roberston. Après toutes ces considérations sur le recyclage et l’écriture à la main, que vient faire cette œuvre ? Eh bien, figurez-vous que l’encre n’en est pas réellement, c’est de sciure récupérée sur les murs du métro de New-York ! On ne sait combien de temps cette « encre » va durer mais il est certain que c’est une utilisation imaginative pour recycler la saleté ambiante des métros.

Pour aller plus loin, le Synthetic Collective, a décidé de conserver les vestiges de l’exposition précédente. En effet, le monde de l’art et des expositions pollue. Ce que le public ne voit pas derrière les cimaises ce sont les murs blancs repeints systématiquement et dont on rebouche les imperfections à chaque changement de scénographie, ce sont aussi des œuvres qui sont envoyées et transportées à travers le monde…

Dans la visée de cette exposition à forte portée écologique, le collectif a donc décider de ne pas repeindre, de ne pas reboucher les trous. Ainsi, entre les œuvres ou derrière elles se déploient le passé qui, si on ne le savait pas, ne choquerait pas vraiment le visiteur du présent !


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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien

Dans cette exposition sont présentées quelques œuvres dites « détournées. » C’est-à-dire que le ou la commissaire d’exposition choisi des œuvres et détourne leur sens pour illustrer le propos de son exposition. C’est le cas ici pour l’œuvre de Pierre Huygue, Timekeeper (2022). La réflexion de l’artiste n’était pas écologique mais renvoie tout de même aux murs des lieux d’exposition sans cesse repeints. L’œuvre consiste à dévoiler les successives couches de peinture cachées dans l’épaisseur du mur. Sa réflexion sur le temps nous amène, dans le cadre de l’exposition, à nous interroger sur le nombre significatif de peintures utilisées, le plus souvent constituées de polymères à base de latex acrylique et de liants résineux. C’est donc bien un détournement d’œuvre, qui illustre à merveille la volonté du Synthetic Collective de réutiliser – ou, en tout cas de ne pas toucher – les vestiges de l’exposition précédente.

Le plastique à rude épreuve

Le plastique, on le sait, a du mal à se désagréger, pourtant, il a tendance à jaunir ou à s’abimer. C’est une réflexion sur la conservation des œuvres en plastique qui est menée ici. Œuvres là aussi détournées, leur état importe plus que le message qu’elles portent.

Construction in space : two cones (1936) – dont est montré un document de conservation et non pas l’œuvre à cause de son état – est une œuvre de Naum Gabo conservé par la Tate (Londres). La photographie de l’œuvre documente son état de dégradation avancé dû aux propriétés chimiques volatiles du plastique qui ont causé l’effritement du matériau. Non seulement cette œuvre renvoie à la raison d’être des musées, à leur enjeu de conservation, mais cela renvoi également à ce matériau qui est partout dans notre environnement et particulièrement instable.

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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien


C’est ce qu’illustre les deux autres œuvres détournées de Joyce Wieland et Claes Oldenburg, datant des années 60. Les artistes symbolisaient les objets de la vie de tous les jours à travers le plastique. Or, presque soixante and plus tard, les œuvres ont totalement jaunies et les Musées sont confrontés à l’enjeu de leur conservation.

Pourtant, certains plastiques s’avèrent être résistants. A l’image de ces chaises de bistrots, représentant Paris aussi bien que la Tour Eiffel, qui avaient l’habitude d’être tout à fait en bois et qui désormais sont lacées de plastique. Avec cette installation, le Synthetic Collective attire notre attention sur ce plastique anti-intempérie, le Rislan® Polyamide 11, aussi utilisé dans le milieu médical et réputé pour son extrême résistance.

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Crédit photo : Vincent Royer, OpenUp Studio/Centre culturel canadien

Ce tour d’horizon, tout en nuance, n’est qu’une ouverture aux foisonnantes œuvres et questions amorcées dans l’exposition à retrouver.

Centre Culturel Canadien
Plastic Heart
Jusqu'au 24 mars 2023
130, rue du Faubourg Saint-Honoré F – 75008 Paris
01 44 43 21 90
L’accès au Centre Culturel Canadien est libre et gratuit.
Ouvert du lundi au vendredi de 10h à 18h. Dernier accès 17h40.
Fermé samedi et dimanche.
Nocturnes en janvier: mardi 17 et lundi 30.
Visite guidée le 30 à 19 h.

Pour en savoir plus et se tenir informé des prochaines nocturnes et visites guidées :
https://canada-culture.org/




auteur
Marie Constant est rédactrice art et culture et chargée de projets artistiques. Vous pouvez retrouver ses conférences, articles universitaires et services sur son site internet.


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