« Energies » est une exposition de l’artiste allemande Judith Hopf (1969) qui a pour particulier d’habiter deux lieux parisiens : Le Frac Île-de-France, le Plateau et Bétonsalon – centre d’art et de recherche, jusqu’au 11 décembre 2022. À la conception du projet, trois commissaires d’exposition se sont associés : François Aubart, curateur indépendant, Xavier Franceschi, ex-directeur du Frac Île-de-France et Emilie Renard, directrice de Bétonsalon.
Les énergies entre les arts et tout ce qui est vivant
Sculptrice et vidéaste, Judith Hopf multiplie médiums et matériaux, marquée par le contexte du début des années 1990 et de la chute du mur de Berlin, elle commence à créer et à s’interroger. En effet, avant qu’une œuvre ne naisse entre ses mains, elle mène des recherches approfondie. En résulte des œuvres telles que Untitled, (2022) une céramique dont la lecture se veut triple, qui semble être à la fois : un objet archéologique exhumé, un jeu de lecture pour le public qui peut y reconnaitre la prise électrique moulée, et un clin d’œil à son enfance en Allemagne où les assiettes ornaient aussi bien les murs que les tables.
Judith Hopf, Énergies Untitled, 2022 / Céramique, diamètre : 21cm
Vue de l'exposition au Frac Île-de-France, Le Plateau
Photo : Martin Argyroglo © Judith Hopf / Adagp, Paris / 2022
Courtesy de l'artiste, Deborah Schamoni, et kaufmann repetto, Milan / New York
Comme cette œuvre, à la croisée de l’histoire de l’art et d’un objet du quotidien, ce n’est qu’en y regardant de plus près que le public pourra s’emparer de la finesse des œuvres et de la pensée qu’elles libèrent.
D’un troupeau de moutons en bétons (Flock of Sheep, 2014) moulés dans du cartons, ces pauvres bêtes sont montées sur de frêles pattes de fer, parfois calées avec une cale en bois, et semblent pourtant bien lourd : étant en réalité des blocs de bétons carrés. De cette œuvre, dont le minois des moutons dégage quelque chose de mignon, on comprend sans mal la critique de l’animal utilitaire, qu’on prend, qu’on, jette, qu’on utilise, comme un carton, un bloc de béton : quelque chose de non-vivant.
D’ailleurs, dans son passionnant entretien (distribué gratuitement par les deux lieux qui hébergent l‘exposition) avec les trois commissaires de l’exposition :
« Je n'ai jamais compris pourquoi les humains se sentent si supérieurs dans le monde alors qu'ils ne pourraient manifestement pas survivre une journée sans leur environnement cosmique, des bactéries aux abeilles en passant par les castors – il faudrait alors peut-être trouver de nouvelles manières de considérer ce que nous appelons la « nature » et les habitant.es qui la composent tel.les que les plantes, les animaux et les humains »
Judith Hopf, Énergies
Flock of Sheep, 2014 et Rain #2, 2022
Vue du volet de l'exposition au Frac Île-de-France, Le Plateau
Photo : Martin Argyroglo © Judith Hopf / Adagp, Paris / 2022
Courtesy de l'artiste, Deborah Schamoni, et kaufmann repetto, Milan / New York
Le titre de l’exposition « Energies » parle donc bien de l’interdépendance de la nature dans son entièreté et dont nous faisons partie : de la modification que nous lui infligeons avec des panneaux solaires – qui partent pourtant d’une bonne intention (voir les œuvres Untitled (Solar Panel), 2022, et la vidéo LESS, 2022, tous deux présenter dans l’espace du Frac Île-de-France Le Plateau), en passant par la météo elle-même, illustrée par des wall-painting in-situ, des peinture murales représentant soleil et pluies, créées spécialement pour l’exposition et s’étalant dans les deux lieux, jusqu’aux œuvres métalliques figurant un brin d’herbe d’une hauteur de 2 mètres 50 et d’un éclair de 4 mètres 70.
Vue de l'exposition "Energies" de Judith Hopf Bétonsalon - centre d'art et de recherche, Paris, 2022.
Courtesy de l'artiste et de Deborah Schamoni © Adagp, Paris, 2022 / Judith Hopf. Photo : Pierre Antoine
Du white-cube au paysage habité
Sur les deux espaces qui intègrent la même exposition les scénographies sont réfléchies comme des paysages, des mises en scènes de théâtre. Les œuvres, se répondent comme des personnages et le public est aussi amené à prendre part à cette comédie, à déambuler au milieu des œuvres, à faire œuvre.
Deux Phone Users, 2021, habitent chaque lieu d’exposition. Ces sculptures constituent une série dont sont figuré de la même argile humains et les téléphones logés dans leurs mains, comme plongé l’un en l’autre dans un échange vital, presque (sur)naturel, et pourtant insaisissable et lointain, le téléphone toujours porté à une certaine distance du regard.
Perchés sur des blocs de bétons en forme de nuages, ces clouds symbolisent bien nos clouds numérique et questionne leur existence dans nos vies, dans nos propres paysages.
Judith Hopf, "Phone User 5", 2021
Vue de l'exposition "Energies" de Judith Hopf Bétonsalon - centre d'art et de recherche, Paris, 2022.
Courtesy de l’artiste et de Deborah Schamoni © Adagp, Paris, 2022 / Judith Hopf. Photo : Pierre Antoine
Au Frac Île-de-France, le Plateau, ils semblent eux-mêmes se mouvoir car selon où le public se tient dans l’espace, le Phone User ne photographie pas la même chose, le rendant étrangement actif dans son attitude passive. Le paysage se transforme ainsi au rythme des pas du visiteur, racontant à chaque détour une nouvelle histoire.
À Bétonsalon les Phone Users deviennent pantomimes des visiteurs, où serait-ce l’inverse ? Qui mime qui et qui photographie qui, de la statue ou du vivant, dans notre monde de surreprésentation ?
Judith Hopf, "Flying Cinema", 2022
Vue de l'exposition "Energies" de Judith Hopf Bétonsalon - centre d'art et de recherche, Paris, 2022.
Courtesy de l’artiste et de Deborah Schamoni © Adagp, Paris, 2022 / Judith Hopf. Photo : Pierre Antoine
Ainsi, le visiteur devient minuscule et pluriel fasse à de singuliers et gigantesques éclaire et brin d’herbe comme nous l’avons évoqué, mais il devient aussi bête carnavalesque en passant, à Bétonsalon, sous le drap de ce Flying Cinéma, 2022, offrant des pieds le retenant ainsi au sol. Dans cet étrange cinéma, passe une vidéo « Less / Contrat entre les Hommes et l’Ordinateur, 2022, inspirée du célèbre texte d’Olympe de Gouges.
Une exposition poétique et burlesque comme par maladresse, qui nous amène à prendre conscience de notre regard sur le monde.
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Exposition Énergies, Judith Hopf
Du jeudi 22 septembre au dimanche 11 décembre 2022
Frac Île-de-France, Le Plateau
22 rue des Alouettes, Paris 19ème
Du mercredi au samedi et le dimanche de 14h à 19h
Gratuit
Visite commentée tous les dimanches à 16h
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Bétonsalon - centre d’art et de recherche
9 esplanade Pierre Vidal-Naquet 75013 Paris
Tél. : +33 1 45 84 17 56
Entrée libre
Ouvert du mercredi au vendredi de 11h à 19h et le samedi de 14h à 19h