Le net regorge de merveilles. Vous le savez, nous le savons. En cette nouvelle année 2017, nous avons décidé de partager avec vous, sous forme de portraits d'artistes, les jolies pépites (ou bien celles qui nous dérangent) que nous avons repérées à votre intention. Cette nouvelle rubrique se veut une manière originale de (re)découvrir l'art, façon 2.0 : tranquille devant son écran. En janvier, commençons par l'univers onirique et mystérieux de la troublante Laura Makabresku.
« Le film [pellicule photographique, ndlr] ne se contente plus de conserver l'objet enrobé dans son instant comme, dans l'ambre, le corps intact des insectes d'une ère révolue : il délivre l'art baroque de sa catalepsie convulsive. » écrivait André Bazin. Or, si la genèse de l’image photographique a, de fait, tout à voir avec le sacré de l’embaumement, ce sont les images intranquilles de Laura Makabresku qui l’exemplifient le mieux.
© Laura Makabresku, Wintersleep
Les saisons froides et mordorées se prêtent mieux au genre gothique, dont les ramifications pénètrent les mediums artistiques. Entre rêves et cauchemars, l’univers de la jeune artiste polonaise, de son vrai nom Laura Kamila Kansy, se déploie dans une morbidité sereine, presque languide. Taxidermie, brumes fantômes, plumes d’oiseaux et feuilles mortes, côtoient peaux douces, gouttes de sang, boucles de cheveux satinés ou objets tranchants. C’est l’invitation au voyage que nous propose son art quasi-spirite. La nature y est tendre et cruelle, toujours prépondérante, en tant qu’écrin ou que décor. L’acte sexuel, évoqué régulièrement en pointillé, est rendu dans le déflorement ténu des chairs, en viol perpétuel.
© Laura Makabresku, Blood
© Laura Makabresku, Blue Bead
Ombres des lumières
Supposer que chaque photographe entretient avec le Temps un rapport particulier fait de l’acte même de photographier un geste performatif. Prendre une photo n’est pas seulement une « écriture de la lumière » (sorte de fiat lux résistant), mais une anatomie de la mélancolie.
En fait d’insectes ambrés, Laura Makabresku conçoit ses images comme autant de contes de fées - et à ce propos, il est juste de dire qu’elle en restitue toute la cruauté. Sous des dehors diaphanes et éthérés, les modèles (humains, végétaux, animaux…) sont mis à mal avec une violence presque primitive, redoutable car contenue. L’embaumement proprement dit intervient, chez Makabresku, dans le traitement particulièrement soigné des portraits et des textures. Elle y communique avec brio les sentiments tourmentés émanant de comptines finalement pas si enfantines. Le regardeur retrouvera des échos lointains, réécrits ou détournés, de contes favoris, mais d’autres récits, sortis tout droit de l’imagination de Laura, transmettent plus encore son attention au détail. L’intensité des cadrages découpe à même les corps des paysages froids, tristes mais beaux. La porosité de la lumière véhicule l’angoisse sourde propre aux contes, à lire entre les lignes.
© Laura Makabresku, Heart of the forest
© Laura Makabresku, Anatomy Lesson
Plongée zénithale
Ici le silence est lourd, assourdissant, plein d’une souffrance muette. Nostalgique, l’artiste n’use que de vieux appareils argentiques. Le grain particulier et les noirs et blancs profonds que confèrent aux images les Zénith dont elle a fait son outil de travail favori, témoignent véritablement d’un outre-temps. Cela n’est évidemment pas sans évoquer la photographie victorienne (Julia Margaret Cameron en tête) – avec tout ce que la pratique de l’époque apporte de contenu poétique et funeste. « Catalepsie convulsive », postures marmoréennes face au pouls impérieux d’une vie qui palpite tant bien que mal… C’est d’une phalène au cœur de l’hiver dont il est question. De l’oie sauvage blessée arrêtée en plein vol. Des autels poussiéreux dans les églises de campagne. Des os délicats qui menacent de déchirer un épiderme encore plus fragile, constellé de frissons.
© Laura Makabresku, Our windy meadows
© Laura Makabresku, Cabinet of souls
La délicatesse de requiem des photographies de Makabresku exagérera l’acuité de vos sens d’une manière dérangeante malgré ses dehors sages, pour qui sait regarder. Le sang y a un goût de fer sous la langue, la terre est humide et molle ; la pourriture de l’humus a une odeur qui prend à la gorge. Alors si coudre des oiseaux, commettre incestes et meurtres, ou exorciser de vieux démons ne vous effraie pas, bienvenue dans ce doux crépuscule…