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Ophélia, Lou Sarda à la Galerie L’œil

16 juin 2016, par Untitled Magazine

Lou Sarda revisite jusqu’au 24 juin la figure emblématique d’Ophélie, personnage shakespearien et mythe féminin.

Ophélie, nom aux sonorités flottantes que l’histoire littéraire et plastique a su tirer jusqu’à nous, se fait le sujet d’une série proposée par la jeune photographe Lou Sarda. Clichés romantiques cachant force et vigueur féminine, ce travail s’immisce dans l’Histoire pour en réactualiser les codes.

Ophélie, mythe artistique

La première apparition d’Ophélie est shakespearienne. C’est le dramaturge anglais qui dessine dans Hamlet les traits torturés, esseulés et fragiles de la jeune fille. Son père est assassiné par méprise par son amant, la laissant dans une kyrielle de sentiments contraires. La folie l’embrase peu à peu et innocemment candide, elle se laisse emporter dans le lit d’une rivière, mettant fin à ses jours. L’engouement pour ce personnage, qui n’apparaît que peu dans la tragédie, se fait par la peinture. Des préraphaélites aux symbolistes, l’image d’Ophélie se pare des figures délicates et raffinées du Quattrocento, de l’idéal chevaleresque du fin’amor et des héroïnes fabuleusement romantiques des poésies de Keats ou de Tennyson.

Au début du XIXème siècle, avec la traduction de ses œuvres et leurs adaptations au public français, Shakespeare est redécouvert, apprécié et presque vénéré. Eugène Delacroix mais surtout les préraphaélites se sont emparés du personnage. Le premier à placer ses attributs n’est autre que John Everett Millais, qui a eu la brillante idée de peindre Ophélie en train de se noyer, sujet original pour l’époque. Il place la jeune femme dans l’eau, la bouche entr’ouverte, les yeux mi-clos, paumes de mains vers le ciel, le corps abandonné flottant dans un ruisseau bordé de fleurs. Douce, belle, sa position est ambiguë et non sans sensualité. Image d'une jeune fille gracieuse, désirée et perdue qui ne cessera d’être cultivée.

La nature est prépondérante. Mère protectrice elle peut être enveloppante, meurtrière elle s’assimile aux froides pierres de la tombe. Végétation fleurie, couleurs douces et chatoyantes, pâquerettes, lys, chaque représentation apporte son lot de fleurs aux parfums enivrants. L’image de la jeune fille dépasse le personnage insensé et instable que lui avait conféré en premier lieu le dramaturge anglais. Elle cristallise les fantasmes communs. Ophélie sort de son enveloppe littéraire première pour se lover dans une représentation plus autonome, choisie par les artistes. Rimbaud place en mots cette figure esseulée, sensible et mourante, fille fantasmée. Le mythe est lancé !

« Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc sur le long fleuve noir : Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir...

Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses longs voiles bercés mollement par les eaux : Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux. »

Arthur Rimbaud, Ophélie, 1870

Lou sarda 2 @Lou Sarda - Courtesy galerie L'oeil ouvert

Ophélie, figure archétypale

Jeune, pure, Ophélie est la femme enfant par excellence. Fragile et délicate, elle est une fleur mourante que le temps ne pourra faner. Jeunesse éternelle, beauté immortelle, les hommes des siècles passés figent ses traits dans l’imaginaire d’un amour abandonné. Figure martyr, elle évoque celles qui n’ont pu être aimées et qui, dévastées par le chagrin, ont préféré la mort à la peine. Naïade à la sensualité rêvée, elle évoque l’amour soumis à la fatalité.

Leopold Burthe lui dénude un sein blanc, rondeur parfaite que porte l'eau calme, Odile Redon en trace la silhouette rêveuse, ombre au bord d’un ruisseau, femme douce, astrale, emportée par les flots, Lars Van Trier y rend hommage dans Melancholia, faisant d'Ophélie une femme rongée par le malheur d'une vie qu'elle ne choisie pas vraiment. Enivrée par les parfums, abandonnée à la douceur de l’eau, elle s’enveloppe une dernière fois des charmes féminins, derniers instants que retient la main de l’artiste. Cette main qui enserre encore les soupirs de la jeune fille, cette main qui présage la mort, retrace la passivité du personnage qui s’offre à l’eau, qui laisse filer sa vie dans un dernier sanglot. Ambivalente, Ophélie est folle de beauté. "La mort d’une belle femme est sans doute le sujet le plus poétique du monde" disait Edgar Allan Poe. L’iconographie de cette jeune fille chaste et inaltérable, objet du désir intouchable n’existe que dans les yeux de celui qui la peint ou qui l'écrit. Perdue avant d’avoir pu être seulement rêvée, victime d’amour, Ophélie traverse les siècles, portée par le charme d’une passivité sensuelle.

Lou sarda 4 @Lou Sarda - Courtesy galerie L'oeil ouvert

Ophélie aujourd’hui, forte et sensible, duelle

Si Ophélia était une femme prude que l’amour anéantissait hier, elle se lève aujourd’hui gardant son charme et sa délicatesse mais assumant, dans l’objectif de Lou Sarda, toute l'insolence de sa féminité. Là est le propos de cette série revisitée : l’insolence d’un thème sensuel, maîtrisé depuis toujours par des hommes. Lou Sarda a grandi parmi les femmes et son regard s’est posé avec justesse sur ce qui l’entoure. L’Ophélie qu’elle nous présente n’est plus candide, elle n’est plus passive : elle fixe l’objectif, elle maîtrise l’émotion qu’elle souhaite faire passer, elle avance, se lève et porte avec fierté toute la beauté de ce qu’elle est.

Inscrire son personnage dans une lignée historique déjà tracée, tout aussi sublime que machiste, n’est pas chose aisée. Pourtant le travail de Lou Sarda, mystérieux et puissant, mesure à merveille le charme d’une féminité enchanteresse et la force d’une revendication féministe. Penser les femmes aujourd’hui, les peindre, les photographier, les dessiner, c’est prendre position sur la question politique du genre. Bien que le sujet ne soit pas d’une originalité folle, la posture du modèle laisse transparaître une force, une détermination sensible.

Ces clichés, poétiques et gracieux où les fleurs et la beauté se mêlent, affirment la force d’une intention. L’intention de ne plus être victime de sa beauté, d’assumer ce corps sensuel, beau et désirable, affirmer qu’il désire et que l’abandon, s’il doit avoir lieu, sera choisi. L’Ophélie de Lou Sarda renferme toutes les femmes : fragiles et combattantes, douces et rugueuses, matures et enfantines. Thématique dans l’air du temps, la modernisation de la représentation féminine est placée à tout venant. Question d’actualité plus que jamais, elle se doit d'être saluée lorsqu’elle ajoute de la matière à un propos encore trop mis à mal.

Bouquet de contrastes, ce mythe imagé reprend ici ses droits et l’on ne peut qu’en remercier l'artiste.

Lou sarda 3 @Lou Sarda - Courtesy galerie L'oeil ouvert

On vous parlait déjà de femmes ici, et c'est aussi onirique que délicat, un vrai délice.

Ophélia
Du jeudi 9 au dimanche 26 juin – Tous les jours sauf les lundis de 11h00 à 19h00
Galerie l’Oeil Ouvert
74, rue François Miron à Paris 4ème arrondissement
 


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