Jusqu'au 23 avril 2017, la Fondation Henri Cartier-Bresson a choisi de dédier une exposition à l’incontournable livre du photographe : Images à la Sauvette. Cet ouvrage d'Henri Cartier-Bresson (1908-2004), dont l’initiative vient de l’éditeur Tériade, est paru en 1952 chez Simon et Schuster avec une illustration de Matisse en couverture.
Les 75 tirages qu'a réalisés Henri Cartier-Bresson entre 1932 et 1950, sont accompagnés de maquettes originales pour une immersion totale dans le travail de confection et d’édition. Sur ses deux étages, la Fondation Henri Cartier-Bresson met à l’honneur le travail conjoint du photographe et des éditeurs franco-américains. Son succès phénoménal et inattendu se mesure aux déclarations de Robert Capa, qualifiant cet ouvrage de "bible pour les photographes".
Henri Cartier-Bresson, Images à la Sauvette (Verve, 1952), p. 59-60, Boston, États-Unis, 1947 © Henri Cartier-Bresson:Magnum Photos
Un livre marquant un tournant dans l’histoire de la photographie
Imaginé comme l’aboutissement de son travail photographique, ce livre a marqué toute une époque. Jamais un livre photographique n’avait connu autant d’attention. La couverture au format impression et l’héliogravure d’une très grande qualité sont au service des images de Cartier-Bresson. Ce livre est extrêmement novateur pour l'époque car il accorde une importance considérable aux photographies elles-mêmes et non plus aux textes qui les accompagnent. Les photographies prennent leur autonomie et le livre devient lui-même oeuvre d'art. Pour cela, les archives exposées montrent la sérieuse recherche du titre percutant, tant en français qu’en anglais. Cette réussite est largement atteinte grâce au titre The Decisive Moment qui fera école dans les deux langues, mettant de côté celui d’Images à la sauvette. Les papiers découpés de Matisse marquent une contribution inédite d’un artiste plasticien pour l’ouvrage d’un photographe et expriment bien l’importance de Cartier-Bresson (et, à travers lui, celle de la photographie sur la scène artistique de l’époque). La lettre de remerciement de Cartier-Bresson adressée à Matisse illustre le caractère exceptionnel et novateur d’une telle collaboration et l’émotion qu’elle suscite.
Henri Cartier-Bresson, The decisive moment (Verve, 1952), couverture © Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos; Henri Cartier-Bresson, Images à la Sauvette (Verve, 1952), couverture © Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Une exposition intelligente
La Fondation Henri Cartier-Bresson expose les plus beaux tirages d’époque publiés dans ce livre. Les photographies sont présentées dans l’ordre de leur parution dans Images à la Sauvette pour respecter le déroulement choisi par l’artiste. Ainsi, on retrouve les mêmes ruptures que dans le livre, qu'elles concernent la vie du photographe ou sa pratique photographique. Ainsi, le visiteur déambule entre des photographies d’Asie où il était présent lors de l’assasinat de Gandhi, en Côte d’Ivoire où il séjournera une année, aux côtés des portraits de ses amis artistes et intellectuels comme Matisse, Sartre ou William Faulkner mais aussi les clichés de sa période de cavale entre 1943 et 1944. Cependant, que l’on soit expert ou novice, des cartels sont présents à chacun de ces changements, pour replacer le contexte avec quelques éléments de biographie.
Henri Cartier-Bresson, Images à la Sauvette (Verve, 1952), p. 69, Henri Matisse et son modèle Micaela Avogadro, Vence France,1944 © Henri Cartier-Bresson : Magnum Photos
« Images à la sauvette » ou « instant décisif » ?
Bien que l’expression « instant décisif » soit rentrée dans le vocabulaire photographique et dans l’histoire de la photographie, de nombreux spécialistes la nuancent. Henri Cartier-Bresson avait "surtout le désir de saisir dans une seule image l’essentiel d’une scène qui surgissait", capturant le moment exact, une image unique et cruciale. Cependant, il semblerait que l'idée d' « image à la sauvette » soit plus fidèle à la manière de travailler de Cartier-Bresson. Comme le disent Agnès Sire, directrice de la fondation, et Pierre Assouline (Cartier-Bresson : l’Œil du siècle, Paris : Plon, 1999), Cartier-Bresson travaillait comme un chasseur d’image, presque de façon illégale, avec cette idée de vitesse mais aussi de fuite après la prise de vue. Ses photographies deviendraient des enregistrements d’ « accidents poétiques » et non plus des « instants décisifs ». Avec une importante part de chance, Cartier-Bresson était souvent présent au bon moment et surtout le seul à y être, offrant beauté et exclusivité.
Henri Cartier-Bresson, Images à la Sauvette (Verve, 1952), p. 127-128, Les derniers jours de Kuomintang, Shanghai, Chine, décembre 1948 - janvier 1949 © Henri Cartier-Bresson:Magnum Photos
La Fondation Henri Cartier-Bresson réussit à se renouveler sans se répéter. Grâce à la profusion d'images et par la diversité de ses réalisations, Henri Cartier-Bresson permet sa redécouverte avec de très nombreuses approches. En consacrant une exposition à cet ouvrage avec des tirages d'époque et des archives pertinentes, le visiteur appréhende une nouvelle facette des publications d'artistes et la façon dont un livre peut influencer toute une génération.
__ Fondation Henri Cartier-Bresson 2, Impasse Lebouis, 75014 Paris Du 11 janvier au 23 avril Du mardi au dimanche de 13h00 à 18h30, le samedi de 11h00 à 18h45. Nocturne le mercredi jusqu’à 20h30