Du 25 février au 18 mais 2015, le Centre Pompidou propose une rétrospective unique sur l'oeuvre d'Hervé Télémaque avec un choix d'oeuvre dont l'éclectisme n'a d'égal que la déclinaison chromatique chatoyante. Mais de son Haïti natale, Hervé Télémaque a gardé bien plus que les couleurs chatoyantes qui d'emblée touchent les yeux et le coeur lorsqu'on s'approche de ses premières toiles. Bien plus aussi, que le sourire ensoleillé qui frappe tout de suite lorsqu'au vernissage de la rétrospective qui lui est consacrée, il écoute avec complicité et bienveillance les remarquables commentaires de Christian Briend - commissaire de l'exposition -, et répond avec malice aux questions qui lui sont posées.
C'est avec plus de 70 collages, peintures, esquisses, objets et assemblages qui explorent tour à tour les thématiques du voyage, de l'exil, de la négritude, de la politique ou de la sexualité que l'on pénètre dans l'oeuvre de Télémaque. Né en 1937 sur l'île qu'on appelle la perle des Antilles, il s'est formé à New-York auprès des grands maîtres de l'expressionnisme abstrait ; Rothko, Pollock, De Kooning, puis a déménagé à Paris en 1961, prenant par là le chemin inverse des artistes de l'époque. Iconoclaste par sa trajectoire, il l'est aussi par son oeuvre lorsqu'en France, au contact des surréalistes, il ajoute au poétique de son trait une dimension politique qu'il n'abandonnera jamais. Ces leitmotivs jalonnent sa production depuis les années soixante jusqu'à nos jours puisque la dernière toile, "Le moine comblé" (amorces avec Arshil Gorky), a été achevée en 2014 et clôt l'exposition avec un carnaval de couleurs.
"Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux", 1965. Crédits : © ADAGP, PARIS 2015
Le Moine comblé (amorces avec Arshile Gorky), 2014 © Adagp, Paris 2014
Associé au courant de figuration narrative, le travail de Télémaque entrelace l'autobiographique à l'imaginaire et le réel au fantaisiste avec une grande force plastique. La puissance figurative et le jeu chromatique ne peuvent que rappeler le pop-art par leur vivacité et leur caractère explosif et moderne. Dans l'enlacement du mot à l'image et dans la pratique de plus en plus systématique de l'assemblage, on comprend aussi dans quelle mesure Télémaque a flirté avec les surréalistes et enrichi son travail en se nourrissant des influences post-symbolistes. Chez Hervé Télémaque, l'oeuvre sort de ses gonds, sort de son cadre avec humour comme si le peintre avait un appétit de l'espace plastique aussi vaste que celui qui l'a poussé à quitter Haïti. Amoureux de cartes et d'estampes, il signe ici une oeuvre plurielle, à la fois spontanée et absolument maîtrisée de par les codes qu'il essaime ici et là pour dire les cris du monde et ses névroses, les voix du passé et les menaces de l'avenir, le désir et la révolte.
Parfois mystérieuse mais sans mysticisme pour autant, chatoyante mais jamais naïve - car le peintre déteste "le bavardage pop"-, l'oeuvre de Télémaque est capable de conter les choses avec humour, d'associer le grave au frivole et de se réapproprier des objets usuels pour en faire des créations farfelues, bigarrées, détournées. Là où le réel devient matière à rêver, là où le quotidien appelle un regard neuf, on pourra dire avec Baudelaire que ce sont "sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d’une richesse sombre, [que] vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. " Car cette consécration d'Hervé Télémaque, au fond, est sans doute aussi une invitation au voyage.
"Convergence", 1966. Crédits : © ADAGP, PARIS 2015
"Fonds d'actualité n°1", 2002. Crédits : © ADAGP, PARIS 2015
"My darling Clementine", 1963. Crédits : © ADAGP, PARIS 2015